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berté de leur rappeler que c’est demain, et de les inviter à venir célébrer avec nous, dans un souper de famille, la délivrance miraculeuse de notre commune et chère patrie. Tout se passera exactement comme si nous étions à Genève, et les trois plats de fondation seront de la partie. »

Voilà qui est on ne peut plus aimable, dit Auberti, en posant le billet sur la cheminée.

— Et comme c’est bien écrit, mon oncle, dit Sophie ; quel style soigné et élégant !

— Oh ! pour cela, répliqua le tuteur, je m’y connais peu ; et tout ce qui me plaît du style, c’est sa clarté.

Quoique le billet de madame Necker fût parfaitement clair pour des Génevois, il est douteux que, sans explication, le lecteur puisse comprendre le sujet ; et deviner les allusions qui s’y trouvent. Pour cela, il faut savoir, ou se rappeler qu’en l’année 1602, le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, fit, en pleine paix, une tentative, dès long-temps préparée, pour s’emparer de Genève par un coup de main. Ses troupes escaladèrent la ville dans la nuit du 11 au 12 décembre ; mais cette entreprise, hardiment conçue, fut très mal exécutée, et n’eut d’autre résultat que la mort de la plupart de ceux qui s’y aventurèrent. Depuis cet évènement, le 12 décembre fut à Genève un jour de fête nationale ; on le célèbre dans chaque famille par un repas, plus ou moins somptueux suivant les fortunes, mais où figurent toujours, pour peu qu’on en ait le moyen, un dindon, une truite et un gâteau de pommes.

Le domestique de l’hôtel venait d’apporter, avec le billet d’invitation, une liste de personnes, qui, dans la matinée, s’étaient fait inscrire à la porte. Sophie, durant la lecture, y jeta les yeux négligemment. Le nom du comte de Morvelle, colonel en second au régiment de Royal-Comtois, frappa sa vue : « Tenez, mon oncle, dit-elle en souriant, voilà une visite que vous regretterez certainement d’avoir manquée. »

— Tu as raison vraiment, tu as raison, répondit le Génevois après avoir considéré la liste avec un air de plaisir. L’on est à Paris d’une prévenance charmante, et demain, sans faute, je rendrai au comte cette politesse.

Après ces mots, Auberti tomba dans une espèce de rêverie ; il ne