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beaucoup, et s’entretenait dans l’espérance, ou d’une guerre prochaine avec les Anglais, ou d’une grande révolution dans le gouvernement : deux chances, qui, selon lui, ne pouvaient manquer d’être favorables à un homme de cœur et d’esprit. Hors de cette perspective, il n’entrevoyait qu’un seul moyen de salut, le mariage avec une femme riche, et surtout riche en argent comptant. Cette dernière idée était probablement pour quelque chose dans son assiduité aux soirées du nouveau directeur général, car M. Necker ne cachait ni son antipathie pour les réformes radicales, ni son désir d’éviter la guerre.

Quoique le comte de Morvelle fût bien connu pour être du parti des impatiens, c’est-à-dire de ceux qui ne trouvaient dans les principes du nouveau ministre qu’une demi-philosophie, et dans sa conduite qu’une demi-hardiesse, il était bien accueilli. Madame Necker surtout paraissait voir ses visites avec plaisir. Cette femme, dévouée avec calcul à la fortune politique de son mari, tenait à connaître l’opinion des moindres coteries ; la société que fréquentait habituellement M. de Morvelle, composée d’esprits éclairés, et de jeunes gens à la parole fougueuse, lui causait parfois de l’inquiétude ; d’une manière plus ou moins directe, elle cherchait à saisir, dans les conversations du comte, sa pensée et celle de ses amis : cela n’était pas fort difficile, car il était de la plus grande franchise, et mettait même une sorte de bravade à afficher son opinion.

Un motif plus spécial agissait encore sur l’esprit de madame Necker. Malgré sa raison ferme et droite, le directeur général avait un faible qui se rencontre chez beaucoup d’hommes de mérite. Il aimait la louange, et même la flatterie ; elle le charmait sous quelque forme et de quelque part qu’elle lui vînt. Un homme léger, et d’un caractère équivoque, le marquis de Pezay, jouissait à ce titre de toute son amitié ; il l’avait gagnée durant la querelle de M. Necker avec Turgot, en lançant contre ce dernier et ses amis, un déluge de plaisanteries, de petits vers, de médisances et de calomnies. Madame Necker accueillait, sans l’estimer, ce singulier protecteur, qui, chaque soir, venait lui garantir le plus long et le plus heureux ministère, et annoncer une nouvelle conquête parmi les indifférens, ou une nouvelle défection dans les rangs opposés.