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deurs et toutes les misères humaines se confessent et se dévoilent, comme pour se soulager en se jetant hors d’elles-mêmes, enfantées souvent dans l’ombre de la cellule ou dans le silence des champs, ont passé inaperçues parmi les productions contemporaines. Telle a été, on le sait, la destinée d’Obermann.

À nos yeux, la plus haute et la plus durable valeur de ce livre consiste dans la donnée psychologique, et c’est principalement sous ce point de vue qu’il doit être examiné et interrogé.

Quoique la souffrance morale puisse être divisée en d’innombrables ordres, quoique les flots amers de cette inépuisable source se répandent en une multitude de canaux pour embrasser et submerger l’humanité entière, il y a plusieurs ordres principaux dont toutes les autres douleurs dérivent plus ou moins immédiatement. Il y a, 1o  la passion contrariée dans son développement, c’est-à-dire la lutte de l’homme contre les choses ; 2o  le sentiment de facultés supérieures, sans volonté qui les puisse réaliser ; 3o  le sentiment de facultés incomplètes, clair, évident, irrécusable, assidu, avoué : ces trois ordres de souffrances peuvent être expliqués et résumés par ces trois noms, Werther, René, Obermann.

Le premier tient à la vie active de l’âme et par conséquent rentre dans la classe des simples romans. Il relève de l’amour, et comme mal, a pu être observé dès les premiers siècles de l’histoire humaine. La colère d’Achille perdant Briséïs et le suicide de l’enthousiaste allemand s’expliquent tous deux par l’exaltation de facultés éminentes gênées, irritées ou blessées. La différence des génies grec et allemand et des deux civilisations placées à tant de siècles de distance, ne trouble en rien la parenté psychologique de ces deux données. Les éclatantes douleurs, les tragiques infortunes ont dû exciter de plus nombreuses et de plus précoces sympathies que les deux autres ordres de souffrances aperçus et signalés plus tard. Celles-ci n’ont pu naître que dans une civilisation très avancée.

Et pour parler d’abord de la mieux connue de ces deux maladies sourdes et desséchantes, il faut nommer René, type d’une rêverie douloureuse, mais non pas sans volupté ; car à l’amertume de son inaction sociale se mêle la satisfaction orgueilleuse et secrète du dédain. C’est le dédain qui établit la supériorité de cette