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LES LOIS ET LES MŒURS.

lence, ils en appelaient, les uns à la tradition, les autres à la justice, c’est-à-dire aux deux idées constitutives du droit. Ainsi, la notion du droit jaillissait du choc des partis ; ainsi, il y avait quelque chose de commun entre eux. L’état conservait un lien, la société un fondement. Par cette habitude constante, le droit né des mœurs s’identifia toujours davantage avec elles, et forma, pour ainsi dire, leur essence ; et c’est ainsi que le peuple romain mérita de s’appeler par excellence le peuple du droit.

Ce peuple transporta le sentiment du droit dans ses rapports avec les peuples étrangers, et y puisa une confiance en sa propre cause qui la faisait triompher. Si les Romains eussent conçu froidement la grande injustice de soumettre le monde, je doute qu’ils eussent pu y réussir ; mais ce fut à un instinct supérieur, à un instinct qui n’était ni sans moralité ni sans grandeur, qu’ils durent l’empire de l’univers. Ils se croyaient des droits sur le genre humain ; ils croyaient que les dieux protégeaient et favorisaient leurs conquêtes.

Que de soins, que de précautions prises pour établir la bonté de leur cause, pour mettre la justice ou l’ombre de la justice de leur côté ! Écoutez le fécial, quand il vient, la tête voilée, déclarer solennellement la guerre aux ennemis du peuple romain. Il s’écrie : Que Jupiter m’entende ! que les frontières m’entendent ! que le droit m’entende[1] ! C’est ce sentiment d’équité, lors même que l’équité était le plus méconnue, qui a soutenu les Romains dans des momens où tout semblait perdu. Ils n’ont jamais désespéré de leur cause, parce qu’ils l’estimaient juste et sainte. En un mot, c’est parce qu’ils croyaient avoir le droit de conquérir le monde qu’ils ont fini par le posséder.

Maintenant que nous avons vu le droit romain sortir des mœurs romaines, voyons rapidement ce que ce droit et ces mœurs devinrent durant dix siècles, entre Appius et Justinien, entre Virginie et Théodora.

Le quatrième et le cinquième siècles de la république furent l’âge d’or de la vertu romaine ; c’est le temps des mœurs rigides, c’est l’époque des Fabius et des Cincinnatus. Rome lutte contre ces populations de l’Italie, qui lui coûtèrent plus à vaincre que le reste du monde. La pauvreté et la guerre fortifient ses mœurs, sa politique puise dans leur austérité une énergie incomparable. Malgré les querelles des deux ordres, il y a unité dans l’état. La sévérité générale des mœurs atténue les inconvéniens que produit la division des ordres.

Les patriciens perdent quelque chose de leur superbe dans les simples et mâles occupations de la vie champêtre. Les plébéiens oublient par

  1. Audiat fas ! Tit. Liv. ier livre.