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LES LOIS ET LES MŒURS.

le gouvernement consulaire, s’opéra la révolution plébéienne qui donna naissance au tribunat. Au milieu des troubles qui commençaient à la déchirer, la société romaine sentit le besoin, pour ne pas périr, de faire un appel à son principe, à cet ensemble de coutumes qui étaient à la fois son droit et ses mœurs. Jusqu’ici la loi n’avait pas été écrite, elle était une tradition vivante dont le patriciat était dépositaire, comme des autres choses sacrées ; alors on écrivit la tradition, et ce fut encore au patriciat qu’on demanda les dix hommes qui furent autorisés à la rédiger.

Telle fut véritablement la mission des décemvirs. La loi des douze tables n’est point une loi grecque, ainsi qu’on l’imagina plus tard, quand le Romain mit sa vanité à tout rattacher à la Grèce, les institutions comme les origines. La loi des douze tables fut l’expression franche et rude des vieilles mœurs, des vieilles coutumes sous l’empire desquelles Rome s’était formée et avait vécu jusqu’alors. Ainsi elle consacre le terrible pouvoir du père sur ses enfans, le droit de les tuer ou de les vendre ; fidèle au même esprit, elle disait : « Que le père se hâte de mettre à mort l’enfant d’une difformité monstrueuse, » et n’accordait la liberté au fils que quand il avait été vendu trois fois. Du reste, cette dernière disposition, qui nous semble le comble de la tyrannie paternelle, était peut-être un commencement d’émancipation. Quoiqu’il en soit, pour comprendre de telles lois, il faut entrer dans la pensée romaine touchant la famille, dans laquelle le père est tout ; le fils de famille, l’épouse, ne sont pas des personnes par rapport à lui, il ne peut leur faire de donation, car une donation suppose deux personnes. Le fils ne peut ni acquérir ni tester ; le fils est la chose du père, le père a le droit d’user et d’abuser de sa chose ; telles sont les maximes primitives du droit romain. Or, ces maximes étaient tirées des entrailles mêmes des mœurs romaines, fondées principalement sur la famille. Si on doutait qu’il en fût ainsi, qu’on réfléchisse que Denys d’Halicarnasse[1] attribue à Romulus la loi qui permettait au père de tuer et de vendre son fils : on la croyait donc antérieure aux douze tables ; d’ailleurs ce ne sont pas là de ces lois qui s’inventent, l’usage est le seul législateur qui les puisse établir. Partout dans la loi des douze tables, nous observons de même l’esprit des vieilles mœurs romaines, telles que nous avons tenté de les caractériser. Ces mœurs étaient, avons-nous dit, empreintes d’une religion lugubre, et parmi les fragmens de la loi des douze tables qui nous restent se trouvent onze articles consacrés aux morts, et on y lit cet arrêt qui respire une superstition sinistre : « Que celui qui a prononcé un enchantement funeste soit déclaré parricide. » Ces mœurs étaient agri-

  1. Denys d’Halicarn, p. 96 et suiv.