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LE CHOLÉRA.

parmi les hommes. Écoutez Krischna raffermissant, au moment du combat, Arjoun qui faiblit, et dont le cœur défaille à la seule pensée du sang qui va couler, des cadavres qui vont s’amonceler, des cris des mourans qui, peu d’instans après, vont remplir les airs ; « Ô Arjoun ! les portes du ciel s’ouvrent devant toi. Ô Arjoun ! il n’est donné qu’à des favoris du ciel d’assister à un combat semblable à celui qui va se livrer. Ô Arjoun ! ajoute-t-il encore, développant de plus en plus sa pensée, prépare-toi à combattre, car ce n’est pas dans l’inaction que peut s’opérer le dépouillement de notre forme mortelle ! » Écoutez encore dans Homère comme un écho harmonieusement affaibli de cette grande voix de l’Orient. Se laissera-t-il aller à de tristes, à de longues lamentations sur les cendres d’Ilion ? non, car « si les dieux ont permis la ruine d’Ilion, nous dit-il, par la bouche d’Alcinoüs, c’est afin que la poésie pût en tirer d’utiles leçons pour les siècles à venir. » Quelles leçons, quels magnifiques enseignemens, nous font en effet, depuis trente siècles, Hector, Andromaque, ou bien Énée, nous racontant du milieu des ruines embrasées de Troie les devoirs sacrés du fils, du citoyen et de l’épouse ! Écoutez enfin Christ, Christ, dont la parole est pour le chrétien toute la vérité, pour le philosophe, une portion seulement de la vérité, toutefois la plus importante et la plus sublime. Que dit-il à ces Pharisiens qui l’interrogeaient sur le royaume de Dieu ? « Le royaume de Dieu ne sera point visible, car le royaume de Dieu ne sera pas hors de vous, mais bien en vous ; » c’est-à-dire, sans doute, que le royaume de Dieu ne peut être que la réintégration de l’âme dans sa dignité primitive, après que suffisamment purifiée au milieu des épreuves de la terre, il lui sera donné de se manifester dans une vie nouvelle. Que dit-il ailleurs ? qu’il fallait mourir au monde pour obtenir le sens de la vie éternelle, c’est-à-dire, pour participer à cette vie éternelle dès le cours de notre vie passagère. Et voyez ceux qui les premiers ont entendu cette puissante parole, ou ceux qui les premiers l’ont reçue encore toute vivante par la tradition. Ils désertent les villes, ils peuplent les déserts, ils se mettent en quête de douleurs, de misères, de jeûnes, de macérations, avec autant d’ardeur que d’autres d’aises et de voluptés ; pas une heure, pas une minute ne s’écoule, sans qu’ils ne meurent à quelque plaisir, à quelque joie, à tout ce qui est la vie ; exténués