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le seuil du temple, se hasarder même jusque sur la place publique. De rustiques processions s’étaient partout déroulées à travers les champs. Dans chaque paroisse, hommes, femmes, enfans se précipitaient, sur les pas du curé, chacun laissant voir sur son visage, avec des signes différens, la même naïveté dans sa foi, la même ardeur dans ses espérances. On priait pour sa vieille mère, pour sa sœur bien-aimée, pour l’enfant qui venait de naître, celui qui fit voir les aveugles et marcher les paralytiques ; si la prière n’était point exaucée, on se soumettait, sans murmure, à la sentence terrible. Alors le prêtre et le médecin pénétraient sous le chaume des cabanes ; mais que les rôles qu’ils y venaient remplir étaient différens de ceux que nous leur assignons d’ordinaire, en semblables circonstances, au milieu de nos grandes villes, au sein de notre civilisation matérialisée ! Là, le prêtre ne se hasarde guère auprès du lit que le médecin n’a pas encore déserté ; il faut que les dernières minutes du temps soient prêtes à sonner pour celui qu’il vient visiter, avant que liberté lui soit donnée de parler d’éternité. Les étranges délicatesses du siècle sauraient-elles permettre qu’on nous entretienne de notre immortalité, avant que nous ne soyons déjà cadavres ? Mais ici la parole était d’abord au prêtre. Il disait que la vie fugitive de la terre est un don de Dieu que nul n’était à même de dédaigner, ou bien une épreuve à laquelle nul n’était en droit de se dérober ; il parlait de la vie qui nous attend au-delà de notre passage à travers le temps ; puis, au nom de cette vie immortelle, il exhortait celui dont il était écouté, à supporter avec courage et résignation de fugitives misères envoyées par Dieu même. C’est alors seulement qu’au lit du moribond se produisait le médecin, couvert, pour ainsi dire, de la soutane du curé ; car ce n’était qu’à cause de l’âme éternelle, qu’il pouvait être question du corps périssable. Le moment arrivait-il enfin, où l’épidémie avait épuisé sa violence à force de ravages ? Une solennelle messe des morts assemblait aussitôt les survivans. Agenouillés sur les tombes récemment fermées, ils venaient s’affliger sur ceux que le fléau avait moissonnés avant de se réjouir de lui avoir échappé. Chacun priait d’abord séparément pour ses parens, pour ses amis, pour ses morts ; puis toutes les prières éparses, isolées, se confondaient enfin en une même prière, faite en commun, pour toutes les victimes de cette même calamité.