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LE CHOLÉRA.

ritoires avaient paru. Des jeunes femmes, des femmes du monde s’étaient vouées avec la plus admirable abnégation de soi-même au service des malades. L’aiguillon de craintes réciproques avait ranimé au fond des cœurs les affections de toutes sortes ; des amitiés attiédies et refroidies par le temps étaient redevenues vives et inquiètes ; on cessait d’être indifférent aux plus étrangers ; entre tous s’était établie cette sorte de sympathie qui ne manque jamais d’exister parmi ceux, qui, courant un même danger, deviennent comme les passagers d’un même vaisseau. L’envie, la haine, les passions basses et cupides, à l’aspect imprévu du vide et du néant de ce qui les avait le plus violemment excitées, ne sachant plus à quoi se prendre, avaient subitement déserté tous les cœurs, ou du moins semblaient l’avoir fait. La sourde inimitié, qui, au sein de nos sociétés modernes, qu’elle menace de détruire, fermente entre le pauvre et le riche, entre le riche et le pauvre, cette implacable inimitié paraissait elle-même un moment suspendue. Le pauvre s’étonnait d’avoir à plaindre le riche qu’il voyait surtout menacé dans ce péril commun ; car, outre la vie, le riche avait à perdre aussi l’or et les jouissances, que du sein de sa propre détresse lui-même n’avait jamais cessé d’envier, et de priser bien au-dessus de la vie elle-même. De son côté, le riche sortait de l’indifférence qui ne lui est que trop habituelle sur les maux qu’il ignore ; il se hâtait de couvrir de son manteau le malheureux exposé nu à l’orage qui menaçait. Toujours et partout présente, la pensée de la mort communiquait de sa grandeur et de sa solennité aux circonstances les plus vulgaires de l’existence sociale ; les rapports de famille ou de société en devenaient plus doux et plus touchans. Se donner un tort même léger, même futile à l’égard d’un indifférent, d’un inconnu, n’était-ce pas courir le risque d’avoir offensé dès le lendemain un homme qui n’était plus, et d’avoir ainsi mis dans sa propre vie quelque chose d’irréparable ? Nous jouissions donc tous, par anticipation, de la sauve-garde de la tombe.

Inébranlable dans sa foi naïve, le peuple de notre Bretagne s’était pressé de nouveau autour de ses pasteurs. Du sein des églises de nos villes, d’ardentes prières n’avaient pas cessé de monter au ciel. Reléguée depuis deux ans au fond du sanctuaire par l’outrage et la dérision, la croix avait pu se montrer de nouveau sur