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des cloches, au bruissement des flots, m’arrivaient adoucies, harmoniées par la distance, toutes chargées d’une sombre et puissante mélodie. Je leur prêtai l’oreille avec un recueillement profond, tout en regardant, avec une sorte d’angoisse et d’anxiété, la terre s’amonceler rapidement, grâce à l’activité des fossoyeurs, sur la créature qui lui était confiée pour l’éternité. Tant que dura ce spectacle, je le considérai avec une avide et douloureuse curiosité ; mais à peine fut-il achevé, que mes yeux se reportèrent sur l’Océan, qui se déroulait à mes pieds dans toute sa sombre majesté. Je laissai quelques instans mes regards errer à sa surface, sur d’innombrables vagues qui se gonflant peu à peu, se couvraient d’une légère écume, puis se brisaient bientôt pour rentrer à jamais au sein de l’immensité, ainsi que cette jeune fille, subitement arrêtée à ses premier pas dans le monde. C’étaient comme des milliers de voix symboliques, s’élevant tout à coup pour me raconter tout ce qu’il y a de fragile et de fugitif dans la destinée de l’homme.

L’apparition subite de cet appareil de funérailles, le retentissement inattendu de ce chant de deuil, au milieu du silence et de la solitude où je me trouvais, étaient sans doute de nature à me faire une assez vive impression, malgré la fréquence de cérémonies pareilles dans les tristes jours que nous traversions alors, car le choléra, qui avait ravagé une partie de la France, venait d’apparaître tout récemment en Bretagne ; mais je dois ajouter qu’il arriva de plus qu’un souvenir récent et douloureux fut éveillé en moi par ce spectacle dont le hasard m’avait rendu témoin.

Mademoiselle de la D…, à peine âgée de quinze ans, réunissait à toutes les sortes de distinctions, le don merveilleux, j’allais dire divin, d’une admirable beauté. Sa mère avait éprouvé des revers de fortune, qui l’avaient reléguée dans une sorte de solitude, au fond d’un des quartiers écartés de Paris ; elle en était la seule consolation, la seule joie dans le présent, la seule espérance dans l’avenir. De cet isolement où toutes deux vivaient, de ces malheurs supportés en commun, de bien d’autres circonstances encore, il était résulté que le sentiment qui existait entre ces deux personnes, était, vraiment d’un ordre à part ; les mots d’amour de mère et d’amour de fille n’en sauraient donner qu’une imparfaite idée, malgré tout ce qu’ils remuent dans nos cœurs de saint et de doux, de tendre et