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LETTRES SUR L’INDE.

heureuse montagne, quand un de mes gens, tirant sur un sanglier, fit sortir du bois deux paires de buffles sauvages qui fondirent sur nous avec la rapidité de l’éclair. Nous n’eûmes que le temps de nous précipiter dans un trou étroit et profond, sans savoir ce qu’il contenait et comment nous en sortirions ; mais le danger était pressant, et il n’y avait pas d’autre parti à prendre. Nous tombâmes six pêle-mêle dans un tas de bourbe où nous enfonçâmes jusqu’à la poitrine et nous attendîmes ainsi le choc des buffles qui chargèrent jusqu’au bord du trou. Nous employâmes le peu de jour et le peu de linge sec qui nous restait, à nettoyer nos fusils, et après avoir grimpé les uns sur les autres, nous fîmes feu sur l’ennemi. Deux des buffles furent blessés, mais il fallut encore nous cacher, et ce ne fut qu’au bout de quatre heures que nous pûmes regagner le bazarra. Je n’ai pas vu la montagne et je n’ai pas cherché à dépouiller les morts. J’en suis quitte pour un bras foulé, non le mien, mais celui d’un de mes domestiques. C’est au moins la quatrième fois qu’un pareil accident m’arrive ; j’ai perdu deux hommes à Sumatra, et pour te rassurer, je te fais le serment de ne plus tant risquer ma peau pour avoir celle des autres. Adieu, je tombe de faim et de sommeil.


Alfred Duvaucel.


(La suite à une prochaine livraison.)