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LETTRES SUR L’INDE.

que le sien, et chez eux l’article de religion qui favorise le mieux leur paresse est le plus rigoureusement observé.

Les salaires de ces domestiques, le loyer de la maison et la nourriture nécessitent une dépense de 150 fr. par mois, et c’est tout au plus ce qu’on donne à un pauvre jeune homme, qui en gagnait 100 en France, et qui se trouve maintenant à six mille lieues de sa patrie, de tout bonheur, et de plus obligé de lutter contre un climat insupportable, contre l’ennui, contre les regrets, contre les privations, le tout en buvant de l’eau. Comme le bonheur public est fondé sur le bonheur particulier, il s’ensuit que la pauvre ville de Chandernagor est la plus triste de l’Inde, et qu’on y voit des Anglais rire et des Français se pendre ; et comme la misère tend à aigrir les hommes, il n’y pas de ville où les habitans se détestent autant qu’à Chandernagor, où l’on porte plus loin la malveillance et l’inimitié. J’ai été assez heureux pour n’avoir contre moi que la moitié de la ville, parce que j’ai défendu l’autre. J’y laisse quelques regrets et j’emporte bon nombre de malédictions…


25 juillet.


Au-dessus de Chandernagor et du même côté se trouve un comptoir hollandais, nommé Chinsura. Avant que ses habitans fussent, comme nous, soumis au régime ministériel, dans le temps qu’ils avaient une compagnie intéressée à se choisir de bons agens, Chinsura était un comptoir fort riche, et qui plus est fort gai, fort agréable, du moins autant qu’un comptoir hollandais peut l’être ; aujourd’hui c’est le pendant de Chandernagor. Ces pauvres Bataves ont une administration qui ne le cède à la nôtre ni en formalités ni en complication. Il faut au gouverneur un ordre de Java, pour dépenser vingt rixdalers, et celui-ci ne le donne guère qu’avec l’autorisation d’un ministre qui n’est jamais sorti d’Amsterdam. Les plus riches Hollandais en sont réduits au fromage, au riz, au poisson fumé, et c’est tout au plus si le clergé peut boire un pot de bierre par semaine. Il ne leur manque plus qu’un contrôleur et un comte D… pour être réduits à la mendicité. La maison la plus remarquable qu’on aperçoit en arrivant à Chinsura, est celle d’un Français, le général Martin, qui pouvait passer pour l’héritier du marquis de