Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/622

Cette page a été validée par deux contributeurs.
616
REVUE DES DEUX MONDES.

que je sais sur son origine, son ancienne prospérité, sa décadence, ses divers gouvernemens, son administration passée et présente, etc., ma lettre aurait vingt pages, et mon petit journal deviendrait une longue histoire. Je réserverai mon savoir pour une autre occasion, et je me bornerai à quelques lignes qui te rendront plus savante que le vicomte Dubouchage, lequel plaçait dernièrement Chandernagor au-dessous de Calcutta et sur la rive gauche du Gange.

Tu sauras que Chandernagor et son territoire, d’environ deux milles, furent cédés à la compagnie française des Indes par Aureng-Zeb en 1688, pour la somme de 100,000 francs. Alors toutes les nations avaient la manie de s’établir au Bengale, et c’est, je crois, le besoin de l’imitation qui nous y conduisit, car pendant plusieurs années, le comptoir français ne servit à rien et fut sur le point d’être abandonné. C’est vers 1700 qu’y vint en qualité de résident un petit commis des finances, dont le bureau n’avait pas éteint l’imagination, et qui devint par la suite un négociant habile, un administrateur éclairé, un bon général, et plus tard une malheureuse victime de l’envie et de la délation. Dupleix persuada facilement au conseil de Pondichéry qu’on pourrait tirer un grand parti de Chandernagor. Comme en ce temps nos comptoirs de l’Inde n’étaient pas tout-à-fait un bénéfice de la marine ; comme on n’avait pas besoin d’écrire à six mille lieues pour obtenir une réponse qui n’arrivait que quand elle était inutile ; comme nous avions des colonies tout simplement par utilité, et non pour se débarrasser de malheureux sans place, sans argent et parfois sans talens ; dans ce temps, dis-je, Dupleix eut bientôt ouvert une source de commerce dans tout l’Indoustan et jusqu’au Thibet, où il sut trouver quelque chose de mieux que les ordures du grand Lama. Après douze ans d’une administration active et sage, Chandernagor armait vingt vaisseaux ; Chandernagor honorait le commerce, la nation, et fut parfois utile aux sciences. Il fit la fortune d’un grand nombre de Français, qui allaient en jouir dans leur patrie. Tel était Chandernagor il y a cent ans. Depuis nos pauvres comptoirs de l’Inde, le plus souvent administrés par les bureaux de la place Louis xv, n’ont été qu’en déclinant. Si deux ou trois hommes de mérite sont parvenus, à force d’adresse et de courage, à retarder