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MÉLANGES.

Saint-Pierre-aux-Bœufs et la rue des Cannettes, désignait autrefois un reptile malfaisant et d’origine diabolique dont les gens donnaient des signalemens très divers (ce qui n’avait rien d’étonnant, puisque personne ne l’avait vu), et que les uns représentaient comme un basilic ou serpent couronné qui tuait de son regard, tandis que les autres lui donnaient une figure approchante de celle du crocodile. Partant de cette dernière opinion, Hayton, prince arménien, qui devint fondateur d’un couvent de prémontrés dans la ville de Poitiers, soutient dans son livre des Tartares, écrit en 1307, que le mot de cocatriz n’est qu’une corruption du mot crocodile ou cocodrille, comme disait alors le peuple. Hayton se trompe ; le mot de cocatrix vient de celui de coquâtre par lequel, encore aujourd’hui, on prétend désigner un chapon chez lequel l’opération n’aurait réussi qu’à demi. Le cocatrix était le serpent, le basilic né de l’œuf pondu par un coquâtre ou par un coq.

Si un coq pondait un œuf, il était manifeste, d’après les idées du temps, que ce ne pouvait être que l’effet de quelque sortilége ou même de l’opération immédiate du démon. Or, d’un pareil produit, il ne pouvait naître qu’un animal éminemment malfaisant ; les philosophes n’avaient pas sur ce point une autre opinion que les ignorans. Cependant l’époque vint où les savans ne voulurent plus reconnaître un pareil pouvoir aux diables ni aux sorciers, et comme dès-lors le fait si long-temps admis ne trouvait plus son explication, ils prirent le parti de le nier tout plat. Ils soutinrent en conséquence que les petits œufs souvent dépourvus de jaune qu’on donnait pour des œufs de coqs étaient réellement des œufs de très jeunes poulettes, et ils ne tinrent aucun compte du témoignage de plusieurs ménagères, qui assuraient avoir vu pondre ces œufs par des coqs ou du moins par des animaux qui y ressemblaient de tout point.

En 1710, Lapeyronie lut à l’Académie des sciences un mémoire fort curieux sur ce sujet. « Un fermier, dit ce célèbre chirurgien, m’apporta plusieurs œufs un peu plus gros que ceux de pigeon, disant qu’ils avaient été pondus par un jeune coq, qui était le seul de sa basse cour dans laquelle il y avait aussi quelques poules. Il doutait si peu de ce fait, qu’il m’assura positivement que si je faisais éclore quelqu’un de ces œufs, il naîtrait de chacun d’eux un