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LES ENFANS D’ÉDOUARD.

et puissante de madame Dorval, quelques soirées d’applaudissemens. Les pages de Sanuto sont plus dramatiques à coup sûr que le poème de M. Delavigne.

Je ne voudrais pas affirmer que cent personnes, même littéraires, se souviennent aujourd’hui de la princesse Aurélie, satire obscure et alambiquée d’un triumvirat politique oublié six mois avant le jour où l’auteur des Messéniennes s’aventura malencontreusement jusqu’à prendre en main le fouet d’Aristophane, de Junius et de Beaumarchais. — Sans Talma, qui est-ce qui se souviendrait de Danville ? Louis xi est dans la vie littéraire de M. Delavigne, la même chose à peu près que Philippe à Bovines, dans la vie pittoresque d’Horace Vernet. Des deux parts, c’est la même impuissance et la même guinderie. Il fallait le talent pastoral de M. Delavigne pour trouver dans Philippe de Commines, Jean de Troyes et Béranger, le sujet d’une églogue inoffensive ; pour emprunter au conseiller de Bourgogne, au greffier de Paris et au lyriste le plus dru de notre siècle, une bergerie qui eût fait envie à Racan.

Il n’y a donc en lui ni l’étoffe d’un poète capable d’imposer à ses contemporains la couleur et la trempe de ses pensées habituelles ; ni celle d’un inventeur fertile en ressources de toutes sortes, promenant du nord au midi, de la Grèce à la Judée, de l’Alhambra à Whitehall, les caprices et les erreurs de son imagination ; s’égarant avec délices dans les siècles évanouis, et donnant à chacune de ses rêveries, de ses douleurs ou de ses joies, le nom d’une catastrophe ou d’un héros ; se ressouvenant des choses et des hommes qu’il n’a pas connus, comme un vieillard qui repasse dans le secret de sa conscience ses premières années, et qui écoute le bruit des jours qui ne sont plus.

Non, M. Delavigne n’est pas poète. Ceux qui l’ont cru se sont trompés. Ceux qui l’ont répété ont été trompés ; ceux qui le soutiennent ignorent eux-mêmes l’origine et la valeur de leur conviction. S’il était vraiment, comme on le dit, un artiste du premier ordre, au lieu de descendre aux opinions vulgaires et démonétisées pour les versifier et les appeler siennes, il aurait librement exprimé ses idées individuelles, et il aurait amené la foule à les accepter. Puisqu’il n’en a rien fait, c’est qu’il se sentait faible ; puisqu’il s’est appuyé sur elle au lieu de l’élever jusqu’à lui, c’est qu’il