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LES LOIS ET LES MŒURS.

politique avec un art encore inconnu ; enfin, comme il le dit lui-même, il ne veut pas donner aux Athéniens les meilleures lois imaginables, mais les meilleures qu’ils puissent supporter. Se plaçant dans ce point de vue, il est évident qu’il tiendra grandement compte des mœurs dans ses lois, que celles-ci ne viseront guère à autre chose qu’à être l’expression des premières, tout au plus à les corriger indirectement, à tirer d’elles-mêmes de quoi modérer leurs inconvéniens, mais non à les plier ou à les détruire.

Les mœurs athéniennes étaient, nous l’avons vu, démocratiques. La loi de Solon sera démocratique comme elle. Cette législation n’aura qu’un but : organiser et régulariser les élémens démocratiques contenus dans les mœurs.

Ainsi elle prescrira l’activité, l’industrie, elle encouragera aux arts mécaniques[1] autant que Lycurgue cherchait à en détourner, car elle s’adresse à une population industrielle et mercantile, et Lycurgue s’adressait à une population conquérante qui ne se plaisait qu’aux travaux de la guerre, et ressentait un dédain tout aristocratique pour les occupations manuelles.

Il y aura à Athènes une assemblée populaire qui décidera souverainement, sans contradiction et sans appel. En effet, comment persuader à ce peuple ardent, inquiet, jaloux, qu’il s’en rapporte à d’autres qu’à lui-même sur ce qui touche à ses intérêts ou à sa gloire ? Comment obtenir de lui qu’il se prive du plaisir de délibérer, de haranguer, de juger ? Ce qu’il lui faut, c’est cette vie de l’Agora, oisive et passionnée. Solon ne tentera point d’éloigner le peuple de la place publique, de la tribune, car cette multitude ingénieuse et vaine se sent capable de tout oser et se croit propre à tout faire ; mais Solon, qui lui-même est Athénien, et aussi ingénieux que pas un de ses compatriotes, Solon parviendra, tout en caressant les sentimens populaires, à les diriger. À force d’adresse, il saura trouver au sein de cette démocratie de quoi la modérer à son insu. Tout citoyen doit voter ; mais en exigeant qu’on appelle d’abord au scrutin ceux qui ont plus de trente ans, il espère entraîner les autres par l’ascendant de l’exemple, et refroidir l’emportement de la jeunesse en lui laissant le temps de la réflexion. Tout Athénien a droit de monter à la tribune ; mais Solon limite indirectement le nombre des orateurs par une censure préalable de leurs mœurs. Quiconque aura frappé son père ou sa mère, refusé de les nourrir ou de les loger, jeté son bouclier dans la ba-

  1. Un fils à qui son père n’avait pas fait apprendre un métier était dispensé par Solon de le nourrir dans sa vieillesse.