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Solon trouva donc à Athènes des mœurs démocratiques avec leur conséquence ordinaire, l’agitation, le désordre, les divisions. Avant lui, deux tentatives avaient été faites pour imposer un joug à ces mœurs. L’une était comme un effort désespéré d’un législateur farouche, qui, sentant le besoin de retremper Athènes, avait imaginé de la retremper dans le sang. La rigueur outrée de la loi de Dracon l’avait fait promptement rejeter. Le Crétois Epiménide, saint et mystérieux personnage, qui passait pour entretenir un commerce avec les dieux, était venu dans Athènes, il y avait été reçu avec respect comme un homme divin que le ciel inspirait ; mais le prophète dorien avait bientôt compris que les mœurs des Athéniens se refusaient à la constitution qu’il eût pu leur donner, et après avoir prescrit quelques observances religieuses, il s’était retiré presque sans laisser de trace. L’anarchie était au comble. Chacun prétendait ordonner l’état à sa fantaisie. Les habitans de la montagne, ceux de la plaine, ceux du rivage, voulaient une constitution différente, en rapport avec leurs habitudes et leurs besoins. L’inégalité des fortunes qui, terrible là où elle n’est contrebalancée par nulle autre inégalité, écrase les états démocratiques de sa tyrannie, la plus insolente et la plus impitoyable de toutes ; l’inégalité des fortunes était poussée à ce point, que la propriété territoriale se trouvait concentrée dans les mains du petit nombre, et qu’il ne restait à la multitude que de la misère et des dettes. Les uns prétendaient tout garder, les autres demandaient l’abolition des dettes et le partage des terres. La société était dans une crise violente qui semblait devoir la briser. C’est alors que Solon parut.

Jusqu’ici nous avons vu dans tout l’Orient, et à Sparte même, des législateurs qui donnent la religion pour base à la politique, et à ce titre, exercent une grande puissance sur les sentimens et les mœurs des hommes. Solon est le premier qui ose se passer de cet imposant appui. À peine cite-t-on à son sujet un oracle incertain. Que nous sommes loin de cette intervention perpétuelle de Delphes dans la législation de Lycurgue ! — Pour Solon, son existence n’a rien d’incertain ni de merveilleux, elle ne se perd point dans la nuit des âges héroïques, elle ne touche point au monde de la mythologie. Solon n’est point un Héraclide sur lequel se soient conservées des traditions plus poétiques que vraisemblables. Sa vie est simple, son extraction médiocre. Il ne parle point d’en haut, il ne change point les bases de la société ; mais choisi par ses égaux pour leur donner des lois, il s’applique à chercher ce qui, pour eux, est à la fois désirable et possible. Il tient compte des circonstances, des obstacles, négocie avec les partis, compose avec les intérêts, en abolissant les dettes, laisse espérer qu’il partagera les terres, traite la législation et la