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mille, Sparte ; qu’une amante et une femme, Sparte ; il voulait abîmer toutes les individualités dans une unité puissante, et il parvint à son but. Il y parvint, parce que l’idée dont il poursuivait l’accomplissement, était une idée dorienne, et qu’il avait affaire à une population dorienne. Sa loi était comme ces tyrans populaires auxquels la multitude obéit, parce que leur despotisme sert ses penchans.

Et sans cela croit-on que Sparte eût si facilement adopté cette loi que n’étayait aucune force matérielle, que les dieux conseillaient, il est vrai, mais qu’eux-mêmes, ne commandaient pas d’une manière absolue ? Où le législateur eût-il pris la force de se faire obéir, s’il n’eût trouvé un point d’appui caché dans la société qu’il voulait régir ? Autrement, son empire sur des hommes d’humeur aussi fière est inexplicable ; ils n’auraient pas du moins porté le joug si long-temps et si gaîment (car la gaîté lacédémonienne avait passé en proverbe), si ce joug n’eût convenu à leurs mœurs.

L’influence des mœurs sur les lois que nous venons de reconnaître à l’origine de la constitution de Lycurgue, ne paraît pas moins dans le spectacle de sa durée et de sa chute. Cent trente ans après l’établissement des lois de Lycurgue, furent institués les éphores dont le rôle ne cessa jamais d’être une opposition constante à la constitution de Lycurgue.

À quoi tint ce rôle de l’éphorie, qui introduisit de si grands changemens dans l’état, et finit par amener sa perte ? Il tint, comme on l’a remarqué[1], aux nouveaux rapports et aux nouvelles mœurs qui naquirent de l’agrandissement de la puissance lacédémonienne. L’extension du territoire, en relâchant le lien national, multiplia les points de contact entre les Spartiates et les étrangers. Par là les éphores chargés, comme on sait, de tout ce qui concernait les étrangers, acquirent plus d’importance, quand, au mépris des lois de Lycurgue, le nombre en augmentait chaque jour. Les éphores étaient aussi chargés de la surveillance des deniers de l’état, et l’accroissement de la richesse publique accrut leur ascendant. En un mot, toutes les nouveautés qui tendaient à altérer la législation primitive trouvaient naturellement dans l’éphorie un instrument et un organe. Voici donc un élément perturbateur introduit par l’altération des mœurs dans la constitution politique et qui en causera la destruction. En effet, ce fut un éphore qui demanda le premier la liberté de tester, incompatible avec la manière dont Lycurgue avait institué la propriété. Ce furent des éphores qui firent échouer par leurs intrigues les magnanimes tentatives d’Agis et de Cléomènes pour le rétablissement des anciennes lois.

  1. Die Dorier, t. ii, p. 124-5.