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riées, renfermées dans la maison domestique, plus exposées qu’elles aux regards, plus mêlées à la société des hommes ; c’étaient des mœurs plus franches, plus fortes, plus septentrionales et moins asiatiques que celles des populations ioniennes. Enfin la loi qui prescrivait à l’époux d’enlever son épouse, toute bizarre qu’elle semble, devait avoir sa raison dans quelque coutume dorienne ; car en Crète il existait un usage évidemment analogue à celui-ci : l’enlèvement du jeune homme aimé par l’ami qu’il s’était choisi[1].

Une des lois les plus extraordinaires que Lycurgue ait portée est celle qui prescrivait aux jeunes Spartiates le vol, mais un vol adroit. Elle se rattachait à une autre du même genre par laquelle il leur était enjoint de s’enfoncer à certaines époques dans les bois, les montagnes et les lieux sauvages, et là de vivre pendant quelque temps de ce qu’ils pourraient se procurer par la ruse ou la force, menant véritablement la vie de brigands. M. Müller, l’homme qui nous a fait le mieux connaître l’existence des populations doriennes, voit, dans cette institution, une tradition perpétuée des anciennes mœurs, quand les Doriens dans les montagnes de l’Olympe ou de l’Æta étaient obligés de mener un genre de vie semblable, et de conquérir ainsi chaque jour leur nourriture sur les habitans de la plaine[2]. Il voit également dans la fustigation des enfans à l’autel de Diane un signe commémoratif du culte antique et sanglant de la déesse[3] de la Tauride. Ainsi les mœurs et les traditions primitives des peuples doriens tiendraient dans les lois de Lycurgue une place beaucoup plus grande qu’on n’est tenté d’abord de le supposer.

Du reste, c’est l’opinion du savant dont je parle que les mœurs de ces populations étaient les vieilles mœurs helléniques qui subsistèrent à Sparte plus purement qu’ailleurs. Il a montré dans l’époque héroïque le type de la royauté dorienne ; il fait voir que les rois dans Homère ressemblent beaucoup à ce que furent les rois de Sparte[4], qui de même sacrifiaient aux dieux et recevaient une portion de la victime. Il a également retrouvé dans Homère le conseil des vieillards[5], la gérusie lacédémonienne ; enfin jusqu’à l’origine des repas en commun entre les chefs avec exclusion des femmes. Il a même rendu très vraisemblable que ces mœurs avaient existé chez les peuples où plus tard la démocratie les a

  1. Die Dorier, t. ii, p. 292.
  2. id., p. 311-12.
  3. id., t. ii, p. 382.
  4. id., p. 92.
  5. id.