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LES LOIS ET LES MŒURS.

vertu, heurtant toutes les bases ordinaires de la société humaine, la famille, la pudeur, la fidélité conjugale et la propriété. Puis, son œuvre achevée, elle la proclame éternelle. Nulle pierre ne devait être remuée dans cet édifice construit tout d’une pièce ; et en effet, il dura cinq cents ans immobile au milieu des révolutions innombrables qui agitaient autour de lui tous les états de la Grèce, et l’esprit de Lycurgue se retrouve à tous les momens de cette durée depuis l’éphore Ekprepès brisant à coup de hache deux cordes qu’un musicien avait voulu ajouter à la lyre, jusqu’à cet Agis, roi vraiment martyr, qui eut l’honneur de mourir pour la loi de son pays.

Certes on ne m’accusera pas de méconnaître l’empire de la loi de Lycurgue sur les mœurs. Cet empire fut poussé jusqu’à la tyrannie et tint du prodige. Mais après avoir reconnu une si incontestable vérité, il faut se demander si par hasard cette tyrannie ne nous semble pas plus violente qu’elle ne le fut réellement, et si une bonne partie des commandemens de Lycurgue que nous trouvons les plus durs étaient pour ceux auxquels ils s’adressaient aussi choquans que pour nous ; en un mot, s’il n’y avait pas sur bien des points quelque conformité entre les lois de Lycurgue et les mœurs doriennes.

Ce qui le prouverait, ce sont les ressemblances qu’on remarque entre les diverses constitutions des états doriens.

L’organisation de la république lacédémonienne se montre dans chacun de ces états, à de légères différences près. On voit qu’ils étaient tous formés sur un même plan. Dans tous se retrouvaient une famille héroïque, en général des Héraclides, investie de la royauté[1], dans tous un sénat de vieillards[2], une éphorie[3]. Les institutions que nous sommes le plus accoutumés à lier dans notre esprit avec l’idée de la constitution de Lycurgue, n’étaient pas étrangères aux autres républiques doriennes. Les festins en commun existaient en Crète comme à Sparte, à Mégare du temps de Théogris, à Corinthe avant le tyran Périandre[4]. Le costume des jeunes Lacédémoniennes dont au reste les déclamations athéniennes ont exagéré l’indécence, leur habitude de se livrer, en présence des hommes, à divers exercices gymnastiques, toutes ces choses qui nous surprennent dans ces lois de Lycurgue, tenaient aux mœurs doriennes. Il était dans les mœurs que les jeunes filles fussent, moins que les femmes ma-

  1. O. Müller, die Dorier, t. ii, p. 109.
  2. id., p. 96.
  3. id., p. 112.
  4. id., p. 202-274.