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LES LOIS ET LES MŒURS.

ment emmaillotée dans les langes de son enfance, son sein est creux, il n’y a plus de cœur.

Lisez dans les journaux anglais les actes du gouvernement, les proclamations officielles insérées dans la Gazette Impériale, et vous croirez lire un chapitre du Chou-King ; l’empereur actuel parle comme parlait l’empereur Yao : mais ouvrez le code pénal de la Chine, son seul code, et vous verrez ce que sont devenues dans la réalité les anciennes mœurs. L’obéissance filiale est toujours la base de la société, mais l’empereur étant le père de tous, cette obéissance est une prostration de tous devant son pouvoir, et c’est au nom d’un sentiment respectable en soi et inhérent aux mœurs chinoises, mais perverti par la servitude, qu’ont été établies des lois atroces : telles sont celles qui prononcent contre l’auteur de toute atteinte non-seulement à la personne de l’empereur, mais à son palais, au temple de sa famille, aux sépultures de ses ancêtres, une mort épouvantable, le supplice des couteaux[1], et enveloppent dans cette sentence tous les parens du coupable. Il y a des peines sévères pour celui qui, dans un placet, emploie le nom de l’empereur, porte ou donne son nom ; il est défendu d’imiter les rites impériaux[2]. Le crime de lèse-majesté est identifié avec le sacrilège[3]. Tout ce qui tient au gouvernement participe de ce respect superstitieux. Le châtiment pour celui qui jette une pierre contre un monument public[4], ou qui résiste à la patrouille, est la mort[5]. C’est que le gouvernement et même la police ont hérité de la vénération primitive et de la docilité sans bornes qu’inspirait le chef patriarcal à la famille politique primitive.

Le principe des anciennes mœurs est donc caché au fond des institutions actuelles, mais il y est avorté, flétri ; de là est résulté le marasme moral où languit cette nation. Son gouvernement a pu lui donner la paix, une certaine justice, l’abondance des biens matériels : la population y a tellement augmenté, que deux millions d’hommes y vivent sur les rivières et les canaux, et que les mères, ne pouvant élever leurs enfans, ont dans leur ménage un bassin de cuivre pour noyer les nouveau-nés. Mais un peuple

  1. On commence par attacher le coupable à une croix de sa hauteur, ensuite l’exécuteur prend au hasard, dans un panier couvert, un des couteaux qui y sont renfermés (chacun porte écrit le nom d’une partie du corps), et coupe le membre que le couteau indique. (Code pénal de la Chine, t. ii, p. 2-3.)
  2. Code pénal de la Chine, tom. i, p. 286.
  3. Id., p. 23.
  4. id., p. 328.
  5. id., p. 374.