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LES LOIS ET LES MŒURS.

de ces chefs guerriers qu’on appelait des Juges. C’est le temps du fort Samson et du vaillant Gédéon. C’est le temps où Jahel enfonce un clou dans la tête de Sisara, où Jephté immole sa fille, où le lévite d’Ephraïm divise le corps de sa femme en douze parts, et en envoie une à chaque tribu d’Israël.

Les Hébreux ont le sol à gagner et à maintenir. De là cette guerre acharnée et ces mœurs atroces. Ils ne sont pas encore complètement organisés en corps de nation ; mais quand le moment est venu, quand ils se sentent maîtres du terrain et assis sur le sol de la Judée, la civilisation, cette plante qui sort du sillon creusé par la main de l’homme, la civilisation commence à jeter ses racines au milieu d’eux. De nouvelles mœurs nécessitent cette nouvelle forme de gouvernement que la sagesse de Moïse avait prévue. Et si un chef guerrier convenait à Israël errant dans le désert comme une caravane, ou campé sur son nouveau territoire, Israël établi d’une manière stable au sein de ses villes, au milieu de ses champs et de ses troupeaux, a besoin d’un roi. Les anciennes mœurs dont Samuel était l’interprète y répugnaient ; mais les temps étaient changés, et lui-même fut contraint de céder. Sous Saül, c’est la guerre qui domine encore dans les mœurs juives. Sous David, les arts de la paix se développent, la poésie est sur le trône ; les habitudes du luxe oriental commencent à entourer ce trône. David avait des eunuques. Salomon enfin s’environne d’une incroyable magnificence, bâtit, outre le temple, des palais, des jardins somptueux, couvre la mer de ses flottes, enrichit Jérusalem des trésors d’Ophir, et vit au sein de son sérail comme un roi de Babylone. C’en était trop ; c’était trop s’écarter de la tradition et des vieilles mœurs. Qu’aurait dit Moïse, s’il eût vu cette mollesse au sein du peuple qu’il avait formé pour labourer, peupler et combattre ? Tout l’esprit de sa législation était dirigé contre le commerce, le luxe, l’inégalité de fortunes qui en résulte. Aussi l’état qui avait cette législation pour base, ne put tenir contre l’influence de mœurs opposées à son principe. Les richesses et les femmes étrangères corrompirent cet homme d’un esprit trop étendu et de trop peu de foi ; sage et voluptueux sceptique qui était destiné à terminer l’œuvre de Moïse et à préparer sa ruine, à bâtir le temple et à ébranler la loi. Du jour où Salomon tomba aux pieds des idoles, il prosterna avec lui la majesté d’Israël, qui ne s’en est jamais complètement relevée. Il se repentit, mais il était trop tard, son règne avait porté le coup, le principe mosaïque était vicié, et le lendemain de ce règne, l’unité juive, telle que Moïse l’avait faite, fut brisée. Et maintenant c’est l’esclavage qui retrempera les Juifs ; c’est lui qui, courbant les tribus sous sa verge de fer, les réunira dans une même oppression et une commune douleur. Pour atteler en-