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dans les lois, parce qu’ils redoutaient leur empire sur les mœurs. En Orient, où l’attrait des sexes est plus impétueux que partout ailleurs, le législateur a toujours craint l’ascendant que cet attrait pouvait donner au plus faible. Dans cette crainte, il a fait peser sur lui un anathème, il l’a représenté comme allié d’une manière ou d’une autre au mauvais principe. Ainsi, dans l’Inde, la femme a été enchaînée, de peur que l’homme ne cessât d’être libre. Elle a été dégradée, parce qu’elle était redoutable ; l’égalité lui a été refusée, parce qu’on redoutait sa tyrannie. La loi qui constitue sa dépendance est une loi d’ostracisme.

Mais quel que soit le principe de cette loi, il est évident qu’elle est elle-même le principe de l’état d’abjection et de servitude dans lequel les Indiens tiennent leurs femmes, si l’on en croit les voyageurs.

J’ai dit que la législation indienne s’emparait de la vie entière des individus soumis à son empire ; j’ai dit trop peu, car l’Indien des trois castes supérieures lui appartient avant que de naître. Dès le moment de la conception, des règles sont prescrites touchant l’embryon à peine formé ; l’enfant ne peut entrer dans ce monde, il ne peut être séparé du sein de sa mère qu’avec certaines cérémonies[1] écrites au code. Dès ce moment chacun des pas qu’il fera dans la vie est marqué dans le livre de la loi. La loi lui prescrira, selon la caste à laquelle il appartient, de quelle étoffe doit être son manteau, de quel bois doit être son bâton. Elle réglera sa prière, ses ablutions, ses repas ; elle lui indiquera où il doit choisir une femme, ce qu’il doit faire chaque jour, et même à l’heure de la mort. Enfin, elle désignera les rites qui doivent s’accomplir sur sa tombe. Ainsi, avant la naissance et par-delà le trépas, l’homme est gouverné par cette loi, et l’on peut dire qu’elle fait ses mœurs, car elle n’y laisse rien de libre, elle n’épargne rien dans son existence qu’elle envahit tout entière.

Mais examinons si là même où les mœurs semblent le plus dépendre de la loi, elles n’ont pas agi primitivement sur elle, et si cette loi, qui leur donne aujourd’hui sa forme, n’a pas été d’abord en partie moulée sur elles.

Rien ne semble, au premier coup-d’œil, faire une violence plus complète à notre nature que l’institution des castes, ce classement d’individus humains qui décide à l’avance de toute leur destinée. Mais que dirons-nous si cette institution, dont les suites sont si funestes, a sa racine dans la nature même des choses ; si elle n’est adoptée, si elle ne peut s’établir et subsister que parce qu’elle est l’expression d’un fait, la différence des races et d’un sentiment, la haine qu’elles se portent entre elles ? C’est pourtant ce qui paraît démontré maintenant, au moins pour l’Inde. On

  1. Manou, 11-19.