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qui est indifférent. Comme elles sont un code moral en même temps qu’elles sont un code politique, la vie domestique est soumise à leur empire aussi bien que la vie sociale. Cet empire s’étend aux actions les plus secrètes, aux sentimens les plus intimes des hommes, aux détails les plus obscurs de leur existence, à leurs habitudes, à leurs vêtemens ; on peut le dire d’une manière générale : en Orient, les lois dictent les mœurs qui ailleurs dictent les lois.

Cependant, même en Orient, il faut tenir compte de l’influence qu’exercèrent dans le principe, sur ces législations si absolues, les mœurs primitives des peuples qui les reçurent, et, de plus, il faut reconnaître que, malgré leur permanence et leur raideur, ces législations ont été atteintes par les modifications que la suite des âges a introduites dans les mœurs.

Ainsi, aux Indes, le législateur n’est pas un homme, c’est un Manou, une intelligence supérieure, une manifestation de Brahma. S’arrachant à la contemplation de l’être dans laquelle il est absorbé, le divin Manou révèle aux sages son code sacré. Ce code commence par une cosmogonie, et la société indienne sort du sein de Dieu avec l’univers.

On ne peut nier que cette législation, au nom de sa source divine, ne commande aux mœurs en souveraine. Elle établit les castes, c’est-à-dire elle parque les hommes en troupeaux séparés, et leur met une marque pour les distinguer et les reconnaître. Elle attribue aux membres de chacune de ces catégories tel costume, telle occupation, telle industrie, et leur interdit toutes les autres ; elle proscrit le mélange des castes, elle établit surtout une barrière insurmontable entre les trois castes supérieures et les soudras. Elle flétrit et maudit les races issues des mélanges qu’elle réprouve, et les voue d’avance aux travaux les plus vils dont elle ne leur permet pas de répudier l’opprobre héréditaire. Elle ne respecte pas beaucoup plus la liberté d’action dans les castes supérieures. Le roi, cet être céleste composé de parcelles de la substance des huit principales divinités, qui, comme le soleil, brûle les yeux et les cœurs, qui est le feu et l’air, le soleil et la lune[1], le roi est gouverné par les brahmes jusque dans les moindres détails de sa vie, jusque dans les circonstances les plus futiles de sa journée. La caste des guerriers est de même soumise aux prescriptions tyranniques et minutieuses des brahmes, et c’est à cette domination de la caste sacerdotale sur la caste armée qu’est due en grande partie l’absence d’esprit militaire chez les Indiens. Tout prouve que la guerre a tenu une grande place dans les mœurs antiques de l’Inde. L’Inde a aussi ses âges héroïques, et les grands noms qui y figurent sont des noms de guerriers ;

  1. Loi de Manou, chap. vii, 4-6-7.