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duire, qui, si elle prenait racine et devenait à la mode, obligerait tout homme qui donne son avis sur les œuvres de son prochain, à prendre, avant de parler, ses licences dans un tir, et à ne marcher qu’armé d’une cotte de maille et d’une dague au côté. On dirait que le siècle veut rétrograder jusqu’aux jugemens de Dieu. Dernièrement un des collaborateurs de la Revue donne son avis d’une manière décente et rationnelle sur un ouvrage exposé au salon ; ne voilà-t-il pas que l’auteur s’avise de le menacer d’un cartel ? Je n’ai pas besoin de dire que la proposition a été reçue comme elle devait l’être. Plus récemment encore, un de nos plus mordans critiques, coupable avec récidive du crime de lèse-vaudeville sur la personne du grand manufacturier de cette espèce nauséabonde de produits, vient de recevoir une lettre anonyme par laquelle on l’engage à être désormais moins irrévérencieux envers ledit manufacturier, que sinon il se verra traduire sur la scène et accusé publiquement de je ne sais quelle infamie. Cela n’est-il pas joli ? J’en connais un troisième, coupable du même délit que le précédent, qui reçoit en lettres anonymes de quoi allumer son feu tous les matins et en revendre encore à l’épicier du coin. Voilà comme quoi les lettres ont été faites pour semer de fleurs le chemin de la vie, ainsi qu’on vous l’a sans doute appris au collège. Et notez que ces turpitudes se passent parmi des gens qui se disent hommes d’art. Mais l’art, voyez-vous, lecteur, l’art, ce mot dont on assourdit vos oreilles, voulez-vous connaître au fond son véritable sens pour ces hommes-là ? traduisez-le simplement par celui-ci : pot-au-feu ou marmite, à votre choix. Cela est dur à dire, mais cela est.

Au risque d’attirer sur ma tête quelque colère anonyme ou avouée d’auteur, il faut que je vous dise mon avis sur quelques livres que je viens de lire à votre intention, et non pour ma satisfaction personnelle.

L’auteur de Résignée poursuit, avec un zèle qui ne se dément pas, le développement de ses idées sur la régénération future de la société. Il y a quelque courage à marcher dans cette voie aujourd’hui que la foule se venge par le mépris de l’attention qu’elle a prêtée un instant aux grandes questions qui se sont agitées ces deux dernières années, et n’a plus pour elles que le ricanement de l’incrédulité. Les Ombrages[1] sont une espèce de trilogie par laquelle M. Gustave Drouineau a voulu démontrer les trois propositions suivantes : la réalité et la puissance de l’âme ; comment l’âme perd sa liberté et sa volonté ; et enfin comment la perte de la liberté et de la volonté peut conduire à la démence. Chacune de ces propositions forme le

  1. vol. in-8o, chez Gosselin.