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REVUE DES DEUX MONDES.


III.


— Tu m’as dit souvent, Lélia, que j’étais jeune et pur comme un ange des cieux ; tu m’as dit quelquefois que tu m’aimais. Ce matin encore, tu m’as souri en disant : — Je n’ai plus de bonheur qu’en toi. — Mais ce soir tu as oublié tout, et tu renverses sans pitié les fondemens de mon bonheur.

Soit ! brise-moi, jette-moi à terre comme cette fleur que tu viens de respirer, et que maintenant tu abandonnes sur le gravier du ruisseau. Si, à me voir emporté comme elle et ballotté, flétri, au caprice de l’onde, tu trouves quelque amusement, quelque satisfaction ironique et cruelle, déchire-moi, foule-moi sous ton pied : mais n’oublie pas qu’au jour, à l’heure où tu voudras me ramasser et me respirer encore, tu me retrouveras fleuri et prêt à renaître sous les caresses.

Eh bien ! pauvre femme, tu m’aimeras comme tu pourras. Je savais bien que tu ne pouvais plus aimer comme j’aime ; d’ailleurs, il est juste que tu sois la plus adorée et la plus souveraine de nous deux. Je ne mérite pas l’amour que tu mérites ; je n’ai pas souffert, je n’ai pas combattu comme toi ; je ne suis qu’un enfant sans gloire et sans blessures en face de la vie qui commence et de la lutte qui s’ouvre. Toi sillonnée de la foudre, toi cent fois renversée et toujours debout, toi qui ne comprends pas Dieu et qui crois pourtant, toi qui l’insultes et qui l’aimes, toi flétrie comme un vieillard et jeune comme un enfant, Lélia, ma pauvre âme ! aime-moi comme tu pourras : je serai toujours à genoux pour te remercier, et je te donnerai tout mon cœur, toute ma vie, en échange du peu qui te reste à me donner.

Laisse-toi seulement aimer ; accepte sans dédain les souffrances que j’apporte en holocauste à tes pieds ; laisse-moi consumer ma vie et brûler mon cœur sur l’autel que je t’ai dressé. Ne me plains pas : je suis encore plus heureux que toi, c’est pour toi que je souffre ! Oh ! que ne puis-je mourir pour toi, comme Viola mourut de son