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gnole ait été imprimée long-temps avant celle du poète portugais. La seconde, propre à Bermudez, mais fort inférieure à l’autre, est intitulée Nise Laureada. Elle a pour sujet la vengeance que l’infant, devenu roi, tira des assassins de sa femme, et le couronnement d’Inès après sa mort. Ces deux drames, divisés en cinq actes, et coupés par des chœurs à la manière antique, peuvent être regardés comme les premières tragédies écrites en vers castillans.

À Valence, où le premier théâtre était une propriété de l’hôpital, se jouaient, presque dans le même temps, divers drames de Viruès, plus remarquables encore. Viruès était l’un des chefs de cette école qui, en Espagne, se fit gloire, dès l’origine, de mépriser les règles d’Aristote, et de secouer toute espèce d’entraves. Son début fut une tragédie intitulée La gran Semiramis. Au lieu des cinq actes grecs, il la divisa, comme les comédies, en trois jornadas ou plutôt en trois tragédies distinctes qui contiennent toute la vie de Sémiramis. La première se passe à Bactre, et se termine par la mort de Memnon ; la seconde, à Ninive, et se termine par la mort de Ninus ; la troisième, à Babylone, et finit par la mort de Sémiramis. Cette trilogie singulière fut suivie de plusieurs autres compositions tragiques, telles que Cassandra, Attila, etc., que Viruès donna successivement sur le théâtre de son pays. L’une d’elles, qu’il annonça comme écrite selon le genre ancien, et la seule où les règles soient à peu près respectées, porte le nom d’Elisa Dido. Ce n’est pas cependant le célèbre épisode de Virgile, mis sur la scène tragique un peu avant par Lodovico Dolce, un peu après par notre vieux Jodelle ; l’amante d’Énée, dans le drame espagnol, reste fidèle à son premier époux Sichée, et se tue pour ne point épouser Yarbas. Le compagnon de Viruès dans cette vieille guerre contre les règles classiques, Juan de la Cueva, après avoir imité l’Ajax-Télamon de Sophocle, donnait aussi à Séville deux tragédies originales : l’une, Los siete infantes de Lara, prise dans une tradition populaire ; l’autre, bien plus importante, empruntée aux annales de Rome, et contenant réunis deux sujets tragiques, la mort de Virginie et celle d’Appius Claudius. Ce fut Cueva qui mit le premier sur la scène cet argument depuis tant de fois répété. À cette époque, le théâtre de Madrid s’enrichissait de nouveaux ouvrages. Aux tragédies du moine Bermudez succédaient celles de