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saint Ferdinand, les Cortès de la mort, etc. À voir les noms pompeux dont ces ébauches étaient décorées, ne les prendrait-on pas plutôt pour ces drames hardis des belles époques du théâtre espagnol ?

Vers 1580, on éleva à Madrid les deux théâtres encore subsistans de la Cruz et del Principe. Alors quelques esprits supérieurs ne dédaignèrent pas de travailler pour la scène, abandonnée jusque-là à ces chefs de troupes ambulantes qui composaient eux-mêmes les farces de leur répertoire. Cervantès entra l’un des premiers dans cette carrière. À son retour d’Alger, et l’imagination vivement frappée des maux qu’il avait soufferts en esclavage, il composa, sur ses propres aventures, la comédie de Los Tratos de Argel. Cette pièce fut suivie de vingt à trente autres, parmi lesquelles il cite lui-même avec complaisance, avec éloge, la Numancia, la Gran-Turquesca, la Batalla naval, la Confusa, etc. Toutes ces pièces, comme une partie de ses autres ouvrages, ne furent long-temps connues que de nom, et l’on en déplorait vivement la perte. On pensait qu’avec une imagination si riche, un esprit si vif et si gai, une raison si élevée, un goût si pur ; qu’avec sa grande connaissance des règles du théâtre, dont il a fait, en plusieurs endroits du don Quixote, une judicieuse poétique ; qu’après les louanges qu’il se donne avec tant d’ingénuité, comme auteur comique, et le singulier talent qu’il a réellement déployé dans ses intermèdes ; on pensait, dis-je, que ses grandes compositions étaient autant de chefs-d’œuvre. Malheureusement pour sa renommée dramatique, deux d’entre elles furent retrouvées, la Numancia et Los Tratos de Argel. Ces pièces sont loin de répondre aux regrets qu’elles avaient excités, et la réputation de leur auteur aurait assurément gagné à ce qu’on ne les connût que par le jugement qu’il en porte. C’est un nouvel exemple des singulières aberrations de l’esprit humain, et une nouvelle preuve de l’impuissance où l’on est de se juger soi-même, que cette opinion de Cervantès, qui parle de ses compositions théâtrales avec autant d’orgueil que de son immortel roman.

Cervantès écrivait à Madrid. Dans le même temps, Juan de la Cueva fit représenter quelques drames à Séville. Il réduisit à quatre le nombre des jornadas, jusque-là de cinq ou six. Le spectacle se composait alors, outre la pièce principale, de trois inter-