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auctor, mais d’auto, acte, représentation, se donnait alors à celui qui composait et récitait des pièces, et il s’est conservé jusqu’à nos jours pour désigner le directeur d’une compagnie comique. On l’appelait aussi maître en fait de comédies (maestro de hacer comedias). Lope de Rueda réunissait les deux talens nécessaires d’un auteur de cette époque ; il obtint un prodigieux succès, et fut à l’envi proclamé grand poète et grand comédien. On lui fit même honneur de l’invention des actes ou jornadas, et du prologue appelé d’abord introïto, puis loa, quoiqu’on en eût fait usage bien avant lui ; mais on avait perdu jusqu’au souvenir des essais qui l’avaient précédé. Lope passa plusieurs années à courir de ville en ville ; enfin sa grande réputation le fit appeler à la cour, et les seigneurs de ce temps allaient en foule oublier devant ses tréteaux la sombre gravité du palais de Philippe ii. Il mourut à Madrid, en 1567. Quelques-uns de ses ouvrages sont arrivés jusqu’à nous, à savoir, quatre comédies, deux dialogues pastoraux, et sept pas pour des intermèdes. Tous sont en prose, quoiqu’il écrivît facilement en vers ; on y remarque surtout de la naïveté et de la finesse. Quant à l’état dans lequel se trouvait le théâtre, on ne saurait mieux le faire connaître qu’en laissant parler Cervantès, qui, dans sa jeunesse, connut et vit jouer Lope de Rueda : « On traita aussi, dit-il, dans le Prologo de sus comedias, de qui le premier en Espagne, tira la comédie de ses langes, la mit en étalage, et la vêtit d’habits de fête. Moi, comme le plus vieux, je dis que je me souvenais d’avoir vu jouer le grand Lope de Rueda, homme insigne pour l’esprit et la représentation… Dans le temps de ce célèbre acteur espagnol, tout l’attirail d’un auteur de comédies s’enfermait dans un sac. C’étaient trois ou quatre vestes de peaux blanches garnies de cuir doré, autant de barbes, de perruques et de hauts-de-chausses. Les comédies étaient des colloques, comme des églogues, entre deux ou trois bergers et quelque bergère. On les allongeait avec deux ou trois intermèdes, tantôt de négresse, tantôt de rufian, tantôt de niais, tantôt de Biscayen, car ces quatre figures et beaucoup d’autres, Lope les faisait avec le plus de vérité et de perfection qui se puisse imaginer… Il n’y avait pas alors de machines et de décorations, ni de combats de Mores et chrétiens, à pied ou à cheval. Il n’y avait point de fi-