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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

jornadas, journées. M. de Sismondi suppose que les Espagnols ont pris ce mot des anciens mystères français, dont on représentait chaque jour une partie ; c’est une erreur manifeste. Jornada ne veut pas dire une journée dans le sens de l’espace d’un jour, c’est une journée de marche, une étape. Un drame divisé en trois jornadas n’est autre chose qu’un drame dont l’action marche et s’arrête trois fois.

Les pièces de Torrès-Naharro parvenaient à peine à l’Espagne (vers 1520), que l’inquisition, si jalouse alors d’extirper les moindres traces de protestantisme, les proscrivit. La même sentence frappa celles qui furent écrites en Allemagne, peu de temps après, par Cristoval de Castillejo, secrétaire de l’empereur Ferdinand, frère de Charles-Quint. Celles-ci qu’on n’osa même imprimer dans les œuvres de l’auteur, lorsque l’interdit fut levé en 1573, sont tout-à-fait perdues. Aussi le théâtre espagnol offre-t-il ce singulier phénomène : qu’il eut réellement deux enfances. Les différens essais dont je viens de parler, frappés par cette prohibition, restèrent quelque temps sans imitateurs, et semblèrent même complètement oubliés, à tel point que ce fut une comédie de l’Arioste qu’on représenta aux noces d’une infante, en 1548. Quelques savans essayaient bien de chercher des modèles dans l’antiquité, en traduisant Plaute, Térence, Aristophane ; mais leurs ouvrages étaient moins faits encore pour pénétrer dans la nation. Ainsi, tandis que, des œuvres dramatiques que possédait déjà l’Espagne, les unes restaient cachées dans la bibliothèque d’un petit nombre d’érudits, et les autres enfouies dans les greffes de l’inquisition, le peuple s’abandonnait encore aux farces grossières des jongleurs et des bouffons. Voilà pourquoi tous les critiques étrangers, Schlegel, Bouterwek, Sismondi, sans faire aucune mention des premiers auteurs, dont ils semblent ignorer même les noms, ne placent qu’au milieu du seizième siècle la naissance du drame en Espagne.

Ce fut Lope de Rueda qui y créa le théâtre populaire. Il était de Séville, où il exerçait l’état de batteur d’or. Poussé par un penchant irrésistible, il quitta le marteau pour s’enrôler dans une troupe de bateleurs qui courait les campagnes, et dont il devint bientôt le chef ou l’auteur. Ce nom d’autor, dérivé, non du latin