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Dans le même temps parut la fameuse Celestina, commencée par Rodrigo Cota, et achevée par Fernando Rojas de Montalvan. Quoique portant le titre de tragi-comédie, cet ouvrage n’est qu’une nouvelle dialoguée. Elle ne fut jamais représentée, et ne pouvait pas l’être. Mais le singulier mérite de cette composition vraiment primitive, qui eut successivement plusieurs éditions, et qui fut traduite dans toutes les langues, servit beaucoup aux progrès du théâtre, en fournissant un véritable modèle de diction dramatique.

Ce fut au commencement du seizième siècle qu’à ces divers essais succédèrent enfin les premières pièces du théâtre espagnol ; mais, par un singulier concours de circonstances, elles parurent hors de l’Espagne. Un certain Bartolomé de Torrès-Naharro, long-temps prisonnier des Mores, et résidant à Rome après son rachat, y composa des comédies dans la langue de son pays, et, chose étrange ! les fit représenter à la cour de Léon x, dans le même temps qu’on y jouait la Mandragore de Machiavel et les pièces de l’Arétin. Torrès-Naharro avertit lui-même qu’il a dû glisser dans ses comédies des mots italiens, « eu égard au lieu et aux personnes devant lesquelles elles se récitaient. » Elles sont peu connues, et Signorelli, dans son Histoire critique des théâtres, en parle avec une sorte de mépris. Ce jugement est plus que sévère ; il est injuste. On trouve dans la plupart des compositions de Naharro, notamment dans la Soldadesca, la Tinelaria, la Trophea, la Yemenea, une heureuse invention de sujet, des caractères bien tracés, des scènes piquantes, un dialogue plein de sel et de vivacité. On y trouve aussi le ton licencieux des comédies italiennes de cette époque, et des traits d’une malignité hardie propre à l’auteur, qui, prêtre et vivant à la cour pontificale, a composé contre l’église des satires qu’on croirait dictées par Luther. Ce Naharro, en faisant imprimer ses comédies à Naples, en 1517, pour donner à la fois la leçon et l’exemple, y joignit des préceptes sur l’art dramatique, les premiers aussi qui parurent en langue castillanne. Ces préceptes sont, en général, fort judicieux. Naharro établit très bien la distinction de la tragédie et de la comédie, et du caractère propre à chacune de ces compositions. Il divise également les dernières en comédies historiques (comedias a noticia), et comédies d’invention (comedias a fantasia). Ce fut enfin lui qui donna aux actes le nom de