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DU THÉÂTRE ESPAGNOL.

verte vraiment précieuse, car cette pièce n’est pas seulement une curiosité par sa date ; elle se recommande aussi par une adresse remarquable à tirer parti d’un évènement historique, et par de singulières beautés dans le plan, dans le dialogue et dans la versification.

En Castille, pour trouver le premier établissement d’une espèce de théâtre, il faut remonter jusqu’à la fin du quinzième siècle. Ce fut Juan de la Encina, lequel excella dans la poésie légère, et dont les nombreux ouvrages forment un cancionero tout entier, qui donna le premier essai de drame. Après avoir agrandi le domaine des représentations religieuses, en composant pour les fêtes du culte plusieurs autos, où l’on trouve, non de simples paraphrases des Écritures, mais des conceptions propres au poète, ainsi qu’une certaine majesté d’action et de langage, il imagina de porter le théâtre hors de l’église. Dans ce but, il composa de petites pièces pastorales auxquelles il donna le nom d’églogues. Ces pièces, dont il remplissait lui-même les principaux rôles, furent jouées d’abord dans les salons de l’amiral de Castille et de la duchesse de l’Infantado. C’était simplement, comme le nom l’indique, un dialogue entre quelques bergers. L’auteur, imitant Virgile, se servit d’abord de ce moyen pour célébrer par des allusions certains évènemens, une paix conclue, le retour d’un prince ; puis il inventa des sujets simples et courts, et mit en scène les propres passions de ses interlocuteurs. Ces petites pièces, coupées par des danses, se terminaient par des chansons (villancicos), et contenaient aussi d’ordinaire quelque scène bouffonne. C’est à la fois l’enfance de la comédie, du ballet et du vaudeville. On découvre avec surprise, dans ces essais précoces, non-seulement de la naïveté, du naturel, mais beaucoup de grâce et d’esprit. Par exemple, dans une de ces églogues, dont le sujet est le pouvoir de l’Amour, ce dieu paraît à la première scène, et célèbre lui-même sa force et sa puissance. Son monologue, en dix strophes d’une coupe élégante, est un des morceaux les plus délicats et les plus ingénieux qu’on ait jamais écrits sur ce sujet. Une circonstance digne de remarque, c’est que la première de ces petites comédies pastorales, d’où l’on peut, en quelque sorte, faire dater le théâtre castillan, fut jouée en 1492, dans cette année si célèbre qui donna à l’Espagne Grenade et le Nouveau-Monde.