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prirent naissance ces petites pièces divertissantes appelées aujourd’hui sainetes (assaisonnemens). Les anciens juegos de escarnio, si goûtés de la multitude et si difficilement chassés du sanctuaire, se réfugièrent sur les théâtres, dès qu’on en éleva. Les farces satiriques ou licencieuses furent nommées d’abord entremeses (intermèdes), parce qu’on les jouait dans les entr’actes d’une comédie ; et la plupart des grands auteurs n’ont pas dédaigné d’y employer leur plume. Cervantès, entre autres, a fait de charmans intermèdes. Les sainetes actuels, qui ont conservé toute la liberté, ou plutôt toute la licence des premières bouffonneries cléricales, ressemblent pour la forme à nos proverbes dramatiques : c’est un canevas léger sur lequel sont brodées quelques scènes plaisantes, et semé de quelques mots malins. Ils excitent moins un rire délicat qu’une grosse et franche gaîté ; mais il est difficile, de ne pas s’y livrer follement, pour peu que l’acteur soit passable. Ceux de Ramon de la Cruz sont avec raison les plus estimés.

La plus ancienne représentation théâtrale dont il soit fait mention dans les annales espagnoles, est celle qui fut donnée pour les fêtes du couronnement de Ferdinand-l’Honnête, roi d’Aragon, en 1414. Elle avait été composée par le marquis de Villena, homme d’un savoir prodigieux pour cette époque, et qui marchait audacieusement en avant de son siècle et de sa nation. Depuis, l’inquisition fit brûler tous ses ouvrages, et sa pièce périt avec eux. Le titre en est même inconnu. On sait seulement que c’était une comédie allégorique, où figuraient la Justice, la Paix, la Vérité et la Clémence. Ces allégories, semblables à nos anciennes moralités, furent quelque temps à la mode dans l’enfance du théâtre espagnol, et Cervantès les rajeunit plus tard. Peu après l’essai de Villena, le marquis de Santillana, son ami, non moins savant, non moins libre dans sa pensée et dans ses écrits, mit en drame, sous le nom de Comedieta de Ponza, les évènemens d’un combat naval qui eut lieu, en 1435, près de l’île de Ponza, entre les Génois et les Aragonais, et dans lequel ceux-ci furent défaits. Cette pièce ne fut jamais jouée, ni même imprimée dans les œuvres de l’auteur ; on en connaissait seulement le titre, qui est cité dans ses lettres. M. Martinez de la Rosa l’a retrouvée dans les manuscrits de notre bibliothèque royale, et c’est pour la littérature de son pays une décou-