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REVUE DES DEUX MONDES.

CŒLIO.

Ahl mon Dieu, le cœur me manque.

OCTAVE.

Et à moi aussi, car je n’ai dîné qu’à moitié. — Pour récompense de mes peines, dis en sortant qu’on me monte à souper, (Il s’asseoit.) As-tu du tabac turc ? Tu me retrouveras probablement ici demain matin. Allons, mon ami, en route ! tu m’embrasseras en revenant. En route ! en route ! la nuit s’avance. (Cœlio sort.)

OCTAVE, seul.

Écris sur tes tablettes, Dieu juste, que cette nuit doit m’être comptée dans ton paradis. Est-ce bien vrai que tu as un paradis ? En vérité cette femme était belle, et sa petite colère lui allait bien. D’où venait-elle ? c’est ce que j’ignore. Qu’importe comment la bille d’ivoire tombe sur le numéro que nous avons appelé ? Souffler une maîtresse à son ami, c’est une rouerie trop commune pour moi. Marianne ou toute autre, qu’est-ce que cela me fait ? La véritable affaire est de souper ; il est clair que Cœlio est à jeun. Comme tu m’aurais détesté, Marianne, si je t’avais aimée ! comme tu m’aurais fermé ta porte ! comme ton bélitre de mari t’aurait paru un Adonis, un Sylvain, en comparaison de moi ! Où est donc la raison de tout cela ? pourquoi la fumée de cette pipe va-t-elle à droite plutôt qu’à gauche ? Voilà la raison de tout. — Fou ! trois fois fou à lier, celui qui calcule ses chances, qui met la raison de son côté ! La justice céleste tient une balance dans ses mains. La balance est parfaitement juste, mais tous les poids sont creux. Dans l’un il y a une pistole, dans l’autre un soupir amoureux, dans celui-là une migraine, dans celui-ci il y a le temps qu’il fait, et toutes les actions humaines s’en vont de haut en bas selon ces poids capricieux.

(Un domestique entrant.)
LE DOMESTIQUE.

Monsieur, voilà une lettre à votre adresse ; elle est si pressée que vos gens l’ont apportée ici ; on a recommandé de vous la remettre, en quelque lieu que vous fussiez ce soir.

OCTAVE.

Voyons un peu cela. (Il lit.)