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LES CAPRICES DE MARIANNE.

MARIANNE.

Goûtez-en ; je suis sûre qu’il n’y a aucune différence avec celui-là.

OCTAVE.

Il y en a une aussi grande qu’entre le soleil et une lanterne.

MARIANNE.

Non, vous dis-je, c’est la même chose.

OCTAVE.

Dieu m’en préserve ! vous moquez-vous de moi ?

MARIANNE.

Vous trouvez qu’il y a une grande différence ?

OCTAVE.

Assurément.

MARIANNE.

Je croyais qu’il en était du vin comme des femmes. Une femme n’est-elle pas aussi un vase précieux, scellé comme ce flacon de cristal ? Ne renferme-t-elle pas une ivresse grossière ou divine, selon sa force et sa valeur ? Et n’y a-t-il pas parmi elles le vin du peuple et les larmes du Christ ? Quel misérable cœur est-ce donc que le vôtre, pour que vos lèvres lui fassent la leçon ? Vous ne boiriez pas le vin que boit le peuple ; vous aimez les femmes qu’il aime ; l’esprit généreux et poétique de ce flacon doré, ces sucs merveilleux que la lave du Vésuve a cuvés sous son ardent soleil, vous conduiront chancelant et sans force dans les bras d’une fille de joie ; vous rougiriez de boire un vin grossier ; votre gorge se soulèverait. Ah ! vos lèvres sont délicates, mais votre cœur s’enivre à bon marché. Bonsoir, cousin ; puisse Rosalinde rentrer ce soir chez elle !

OCTAVE.

Deux mots, de grâce, belle Marianne, et ma réponse sera courte. Combien de temps pensez-vous qu’il faille faire la cour à la bouteille que vous voyez, pour obtenir ses faveurs ? Elle est, comme vous dites, toute pleine d’un esprit céleste, et le vin du peuple lui ressemble aussi peu qu’un paysan à son seigneur. Cependant regardez comme elle se laisse faire ! — Elle n’a reçu, j’imagine, aucune éducation, elle n’a aucun principe ; voyez comme elle est