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puissante aristocratie sacerdotale, était divisée en douze cités ou corporations civiles. Le suprême magistrat de chacun de ces douze peuples, dont se composait la nation entière, portait le nom de Lucumon, et il était élu chaque année. Investi d’une pleine puissance, il rendait néanmoins, tous les neuf jours, compte de ses actes à ceux qui l’avaient élevé à cette haute dignité, que les Romains appelaient royale. L’un d’eux était élu généralissime et chef de l’union par les douze peuples confédérés, dont chacun fournissait un licteur à son cortège, pour montrer qu’ils avaient tous une part égale dans la souveraineté commune[1].

Cette organisation sociale, qui excluait le peuple de toute participation aux affaires publiques, devait nécessairement périr sitôt que le prestige religieux qui environnait l’aristocratie gouvernante et faisait sa force, aurait commencé à se dissiper : aussi prit-on pour le conserver des précautions sans nombre. Tous les actes de la vie humaine, unis à des rites mystérieux dont la seule classe sacerdotale possédait le secret et qu’elle pouvait seule accomplir, étaient par là sous sa dépendance. Elle avait enveloppé et serré dans les mêmes chaînes l’homme intellectuel et l’homme civil. Maîtresse absolue des croyances, de la science et des lois, elle n’avait pas laissé une seule issue à la liberté humaine. Il suit de là que, sous cette police pesante et compacte, l’Étrurie devait former une société forte, mais sans élan ; un corps, si l’on peut ainsi parler, d’une densité extraordinaire, mais sans principe d’expansion. Le défaut d’unité politique la rendit plus facile à entamer par les Romains, qui l’attaquaient avec toutes leurs forces, tandis que presque toujours elle ne se défendait qu’avec une partie des siennes. Inévitablement elle devait succomber dans cette lutte inégale, et elle succomba en effet vers la fin du cinquième siècle après la fondation de Rome. Ses derniers efforts, glorieux mais stériles, ne servirent qu’à jeter quelque éclat sur sa mort. Et ce qu’il y eut de remarquable à cette fatale époque et dans les temps qui la suivirent, c’est la promptitude avec laquelle l’aristocratie, qui perdait tout, s’oublia elle-même, poussée par sa corruption interne à s’identifier au peuple conquérant, tandis que le plébéien, qu’elle avait tenu perpétuellement

  1. Tome ii, p. 71 et 72.