Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/318

Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
REVUE DES DEUX MONDES.

noires et grimaçantes à la lumière tremblotante et douteuse de nos bougies improvisées, pour les garder dans sa mémoire, comme elles resteront dans la nôtre. Il faudrait avoir eu pour soi-même, et dans un pareil moment, à craindre le sort terrible des devanciers que nous avions sous les yeux, pour comprendre que nos cheveux se dressèrent, que la sueur nous coula sur le front, et que, quelque besoin que nous eussions de repos et de feu, nous n’éprouvâmes plus qu’un désir, celui de quitter au plus vite cette hôtellerie mortuaire.

Nous nous remîmes donc en route, plus silencieux et plus sombres encore qu’avant cette halte, mais aussi pleins de l’énergie que nous avaient donnée la vue d’un pareil spectacle ; pendant une heure, pas un mot ne fut échangé, même de la part des guides. — La neige, le chemin, le froid même, je crois, avaient disparu, tant une seule idée s’était emparée de tout notre esprit, tant une seule crainte pressait notre cœur et hâtait notre marche.

Enfin notre guide chef poussa un de ces cris habituels aux montagnards, qui par leur accent aigu se font entendre à des distances extraordinaires, et qui désignent par leur modulation si celui qui appelle ainsi demande du secours, ou prévient simplement de son arrivée. —

Le cri s’éloigna, comme si rien ne pouvait l’arrêter sur cette vaste nappe de neige, et comme nul écho ne le renvoya vers nous, la montagne rentra dans le silence.

Nous fîmes encore deux cents pas à peu près, alors nous entendîmes les aboiemens d’un chien.

— Ici, Drapeau, ici, cria notre guide.

Au même instant un énorme dogue, de l’espèce unique, connue sous le nom de race du Saint-Bernard, accourut à nous, et reconnaissant notre guide, se dressa contre lui, appuyant ses pattes sur sa poitrine.

— Bien, Drapeau, bien, bonne bête ; — avec votre permission, messieurs, c’est une vieille connaissance qui est bien aise de me revoir. — N’est-ce pas, Drapeau, hein ! Le chien…, le bon chien ! oui, allons, allons, — assez, et en route. —

Heureusement la route n’était plus longue, dix minutes après nous nous trouvâmes tout à coup devant l’hospice que de ce côté