Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/317

Cette page a été validée par deux contributeurs.
311
IMPRESSIONS DE VOYAGES.

— S’il y avait une cheminée, nous ferions du feu, dit une voix.

— Et du bois ?

— Cherchons toujours la cheminée.

De Sussy étendit les mains.

— Messieurs, une table, dit-il. — Ces mots furent suivis d’une espèce de cri, moitié de frayeur, moitié d’étonnement.

— Qu’y a-t-il donc ? — Hein !…

— Il y a qu’un homme est couché sur cette table. — Je tiens sa jambe.

— Un homme !

— Alors secouez-le, il se réveillera.

— Eh ! l’ami, eh !…

— Messieurs, dit un de nos guides, se détachant du groupe de ses camarades, restés dehors, et passant sa tête par la fenêtre ; — messieurs, pas de plaisanteries pareilles et en pareil lieu. Elles nous porteraient malheur à tous, à vous comme à nous.

— Où sommes-nous donc ? —

— Dans une des morgues du Saint-Bernard… Il retira sa tête de la fenêtre, et alla rejoindre ses camarades sans rien ajouter de plus ; mais peu d’orateurs peuvent se vanter d’avoir produit un aussi grand effet avec aussi peu de paroles. Chacun de nous était demeuré cloué à la place qu’il occupait.

— Ma foi, messieurs, il faut voir cela. C’est une des curiosités de la route, dit de Sussy, et il plongea une allumette dans le briquet phosphorique.

L’allumette pétilla, puis répandit un instant une faible lumière à la lueur de laquelle nous aperçûmes trois cadavres, l’un effectivement couché sur la table, les deux autres accroupis aux deux angles du fond ; puis l’allumette s’éteignit, et tout rentra dans l’obscurité.

Nous recommençâmes l’opération. Seulement cette fois chacun approcha un bout de papier roulé du mince et éphémère foyer, et lorsqu’il l’eut allumé, commença l’investigation de l’appartement, tenant de la main gauche d’autres mèches toutes prêtes.

Il faudrait s’être trouvé dans la position où nous étions nous-mêmes pour avoir une idée de l’impression que nous fit éprouver la vue de ces malheureux ; il faudrait avoir regardé ces figures