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Otto prit son manteau, en couvrit les épaules de Beata, et boutonnant son frac, ils sortirent bras dessus bras dessous.

Ils s’apprêtaient à descendre la route qui mène au hameau de la Sauvenière, lorsqu’ils virent un homme venir au-devant d’eux ; ils rebroussèrent chemin, et remontèrent le cours du gros ruisseau qui coulait au pied de la maison.

Le soleil se montrait un peu ; la terre, lavée par la pluie et affermie par le vent, sonnait sous les pas, et faisait étinceler comme des paillettes mille petites pierres de toutes les formes et de toutes les couleurs. La température était moins froide qu’à l’ordinaire, il y avait comme un sourire de printemps dans ce dernier rayon d’automne, et l’on aurait dit deux amans qui s’en allaient chercher l’ombre et la solitude. Pourtant ils ne parlaient pas. Tant que le ruisseau traça ses détours dans la prairie, ils eurent assez beau chemin. Mais bientôt la scène changea, les roches apparurent, et le ruisseau devint torrent. Ce fut une onde impétueuse et chargée de fange, roulant tantôt sur les roches, et tantôt se précipitant en forme de cascade ; un bruit assourdissant, et le mugissement perpétuel d’un troupeau de bœufs. Les obstacles s’accumulaient devant eux, ils furent bientôt dans un vrai désert. Là le vent et la tempête de la nuit dernière avaient amoncelé leurs victimes, des roches en éclat, de grands arbres courbés et renversés, puis des bouquets de sapins s’écrasant les uns les autres, ou foulés comme l’herbe sous les pas d’un enfant. — On sentait que le génie du mal et de la destruction avait dû se ruer à son aise au milieu de ce chaos. Il fallait aussi que les promeneurs prissent plaisir à la contemplation de ces ruines gigantesques et naturelles, car ils ne s’arrêtèrent pas et continuèrent leur marche. Où allaient-ils ? Dieu seul le savait. Ils montèrent encore, ils montèrent jusqu’à une roche autour de laquelle il fallait tourner, et qui avait quelque chose d’affreux à la vue.

Cependant, arrivé à une certaine hauteur, Otto jugea prudent de revenir sur ses pas ; il se faisait tard, et le vieillard pouvait être levé. Alors il prit la jeune fille par le bras et redescendit avec elle. Ils suivirent la même route, marchant, tantôt l’un devant l’autre, tantôt de front, s’aidant et se soutenant mutuellement. Le torrent bondissait encore au-dessous d’eux. Beata avait la tête penchée et descendit silencieuse, aussi nonchalamment qu’elle était montée.