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MOUVEMENS MUSCULAIRES.

Quand nous marchons sur un plan glissant, tout le monde sait avec quelle promptitude nous nous jetons du côté opposé à celui où notre corps est entraîné par suite d’une perte d’équilibre ; mais une circonstance moins généralement connue, c’est qu’une tendance au mouvement se manifeste lors même qu’il nous est impossible de nous mouvoir dans le sens de cette tendance ; par exemple, en voiture, la peur de verser vous raidit dans la direction opposée à celle qui vous menace, et il en résulte des efforts d’autant plus pénibles que la frayeur et l’irritabilité sont plus grandes. Je crois que dans les chutes ordinaires, le laisser-tomber a moins d’inconvénient que l’effort tenté pour prévenir la chute. C’est de cette manière que je comprends la justesse du proverbe : Il y a un Dieu pour les enfans et pour les ivrognes.

Le fait que je viens de citer conduit naturellement au cas où, étant placé sur la corniche d’une montagne dont la largeur présente une voie beaucoup plus large que celle qui serait strictement nécessaire si l’on marchait dans une grande route, on vient tout à coup à découvrir la profondeur d’un abîme qu’on a au-dessous de soi. Au même moment, pour ainsi dire, on se jette irrésistiblement du côté opposé à l’abîme, poussé par l’instinct de la conservation qui lutte contre une tendance au mouvement en sens contraire, déterminée par la vue de l’abîme. Cette tendance est encore remarquable lorsqu’on se trouve sur un pont sans garde-fou, placé au-dessus d’un précipice ; ce précipice, vu d’un côté du pont, vous fait jeter du côté opposé, et vous met dans le même état d’anxiété que celui auquel vous avez voulu vous soustraire. Ainsi sollicité successivement en deux sens opposés, vous êtes frappé de stupeur et réduit à l’immobilité, si même la crainte trop vive de tomber du côté où vous êtes ne vous fait pas courir le danger de vous jeter du côté opposé. Telle est, dans le cas dont nous parlons, la position d’un homme qui n’a pas été habitué à marcher dans une voie étroite suspendue sur un abîme, tandis que l’homme qui a cette habitude y marche aussi sûrement que dans une grande route, par la raison que, libre de frayeur, il ne pense point au danger que redoute le premier. Enfin la position de celui-ci pourrait devenir plus critique encore, s’il était conduit à découvrir la profondeur de l’abîme dans le cas où, suivant de l’œil le vol d’un oiseau ou le jet