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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

pensent n’imiter personne, lorsqu’ils copient le geste et la figure de ce démon sorti un jour tout armé du cerveau de Goëthe, comme d’une ardente fournaise. Encore ce Méphistophélès dont ils ont fait leur type, est égoïste par nature, par instinct : lorsqu’il séduit Marguerite, qu’il entraîne Faust dans l’abîme, on peut voir, à l’épanouissement de sa face, quelles ineffables jouissances il puise dans le mal. Et si tout ce qu’il touche se fane et périt éternellement, par une horrible compensation, lui est heureux, lui triomphe, et sa volupté, tout atroce qu’elle est, se conçoit cependant, car partout où il y a virginité, dévoûment, étude, il est dans le cercle du maître ; il souffre : il faut qu’il en sorte par la destruction. Quant à ceux qui font le mal sans y trouver leur joie, qui prêchent l’égoïsme aux autres, et qui se dévouraient eux-mêmes au besoin, qui changent un dogme, non par envie de lui substituer leurs croyances ; qui, pareils aux limaces, déposent avec indifférence leur glu immonde sur toute fleur, ceux-là sont des satans bien incomplets, qui devraient aller étudier la science du mal chez Méphistophélès, s’il lui arrive jamais de s’affubler encore de la robe et du bonnet de docteur, pour donner audience aux écoliers de Faust.

Ainsi, de ces deux écoles, l’une produit de grandes choses dans la solitude, l’autre envahit tout, se multiplie à l’infini par les romans, les poésies, les drames ; école immorale, et tellement impuissante, qu’elle se nie elle-même et cherche sa gloire autre part que dans son œuvre. Nous n’avons plus aujourd’hui de ces robustes ouvriers comme on en voyait en Italie et en Allemagne aux quatorzième et quinzième siècles, de ces hommes de fer tellement trempés dans le dogmatisme de l’art, que la misère et l’insulte pouvaient glisser sur leur peau sans la déchirer. En revanche, nous sommes assaillis par les apôtres du désespoir qui vont prêchant le viol et l’adultère, raillant la poésie comme pour empoisonner dans ses joies les plus intimes l’existence de l’artiste consciencieux, qui disent que c’est folie de s’occuper de choses graves, et qui pourtant produisent eux-mêmes, et en produisant se soumettent aux conditions inflexibles de l’œuvre : la croyance et la foi ; car ces hommes sont poètes, ils ont dans l’âme une voix qui veut chanter. Il faudra tôt ou tard que sa mélodie s’exhale ; mais telle est leur étrange manie, qu’ils