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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

si naïve des chants des premiers maîtres ; et, chose étrange ! ces effets si puissans qu’il nous a révélés, bien loin de servir à sa gloire, ont été long-temps un obstacle à son adoption européenne.

« — Beethoven a produit de grands effets avec de grands moyens, donc il est inférieur à ceux qui ont atteint le même but avec des ressources bien moindres. L’important dans l’art, c’est d’agir sur la sensibilité de l’âme : or, si tel maître, avec quelques voix de femmes qui chantent à l’unisson, me touche et m’émeut presque autant que Beethoven avec les développemens immenses de son orchestre, je conclus que Beethoven est un artiste d’un ordre inférieur. » Sophisme ridicule, qui arrêterait tout progrès, en empêchant le peintre ou le musicien de se servir des moyens que le temps a mis à sa disposition.

« Alte Mittel die der unerschöpfliche Reichthum der Tonkunst ihm darbietet sind sein Eigen .  » Tous les moyens que la richesse inépuisable de l’harmonie offre à l’artiste, sont à sa disposition.

C’est ce qu’Hoffman a répondu à Sacchini à peu près sur un pareil sujet. Donc, parce que les premiers peintres du moyen âge ont fait des choses ravissantes de grâce et de candeur, sans se douter de la perspective, il s’ensuivrait qu’un grand artiste qui naîtrait de nos jours devrait s’en abstenir. Ah ! vous tous, qui faites de tels reproches au grand homme, prenez garde de ne pas vous laisser séduire plutôt par la forme de la pensée que par la pensée elle-même ; prenez garde de ne pas admirer, sans le vouloir, dans les premiers tableaux allemands, plutôt l’absence complète de toute perspective, que le sentiment religieux empreint sur ces personnages enluminés d’or.

Pourquoi chercher à diminuer la gloire de cet homme progressif qui, voyant tant de forces inertes qu’il fallait animer, ne s’est pas laissé rebuter, les a toutes groupées dans son œuvre, et, par son génie et sa foi, est parvenu, s’aidant de toutes les ressources de l’art à être grand, sublime et naïf en même temps. Ainsi, je le répète le dogmatisme allemand est mort en Beethoven ; l’Italie semble avoir atteint en Rossini son plus haut degré de splendeur. Maintenant elle sommeille ; mais comme la nature extérieure, source inépuisable d’inspiration pour l’artiste italien, va se renouvelant sans cesse ;