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l’onde se retire et la laisse humide, à découvert, sur le sable ; plus souvent l’océan en tumulte l’absorbe et l’engloutit dans ses flots.

La poésie, la peinture et tous les arts ont toujours à choisir, comme la philosophie, entre les deux principes contraires. En musique, ainsi que je l’ai dit, deux grandes écoles bien distinctes se sont dès long-temps illustrées, l’une au midi, l’école sensualiste entre toutes ; l’autre au nord, exclusivement dogmatique et religieuse. Et cependant le génie musical a d’abord été en Italie, comme partout, symbolique et religieux ; mais les Italiens, amoureux de la forme, adorateurs de la beauté physique, n’ont pu s’habituer à cette harmonie suave, à ces accords si purs, qu’ils frappent l’âme sans traverser les sens. Les Grecs de Naples et de Florence voulaient une musique ardente comme leur soleil, lascive, folle, sensuelle comme leurs femmes, colorée comme un tableau vénitien ; Cimarosa et Rossini. L’Allemagne, au contraire, qui ne voit dans l’art qu’un symbolisme, qui, tout entière à l’idée, traite la forme comme un accessoire, a toujours été, en poésie, en musique, en peinture, fidèle à son caractère philosophique : le mysticisme. Aussi l’art allemand en musique, et surtout en peinture, me semble avoir encore aujourd’hui une utilité morale que dès le seizième siècle n’a plus l’art italien. Si vous mettez en parallèle deux artistes : l’un, faisant sans but arrêté, s’inspirant de tout, capricieux, sceptique, n’approfondissant rien, prenant des sentimens et des passions ce qui monte comme une écume au-dessus de l’âme, mais aussi possédant au plus haut degré le talent de la forme ; l’autre, tourmenté par une grande idée, idée religieuse, qu’il poursuit partout, qu’il travaille et développe sans cesse ; si vous les comparez tous les deux, si vous les estimez à leur juste valeur, direz-vous que le dernier est un moins grand artiste que l’autre ? Non, certes, car si vous le disiez, l’avenir vous donnerait un démenti. Eh bien ! donc, si l’artiste religieux et dogmatique se pose incontestablement au-dessus de l’artiste profane, si l’idée l’emporte sur la forme, que sera-ce donc lorsque l’idée aura la forme à son service, lorsque ces deux choses seront réunies en un seul, comme cela s’est vu dans Beethoven ! Beethoven est un grand artiste, un artiste complet, car il a trouvé le moyen d’unir les richesses instrumentales de l’orchestre de nos jours à la simplicité