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domestique portait sur la croupe de son cheval. Ce fait, rapporté par Gesner, qui était contemporain du prince, avait été regardé comme un conte, et, quoique plus tard Bernier, Tavernier, et d’autres voyageurs en Orient, eussent parlé du guépard, de manière à confirmer pleinement ce qu’en avait dit Gesner, les naturalistes ne s’en occupèrent point jusqu’à l’époque de la prise de Seringapatam, où deux tigres, qui avaient appartenu à Tipoo Saïb, arrivèrent en Angleterre. Ces deux animaux venaient accompagnés de leurs anciens gardiens, auxquels ils obéissaient comme le chien le mieux appris ; ils étaient, d’ailleurs, doux et caressans avec tout le monde. Ils furent envoyés à Windsor, et les deux Indiens demandèrent avec instance qu’on ne les enfermât point dans une cage, mais qu’on les laissât chasser dans le parc, comme ils avaient coutume de faire. Ces hommes offraient de garantir sur leur tête que les guépards ne causeraient aucun désordre. Georges iii n’y voulut pas consentir ; il ordonna que les tigres fussent remis aux gardiens ordinaires de la ménagerie, et que les Indiens retournassent dans leur pays. Ceux-ci, qui étaient tendrement attachés aux animaux dont ils avaient si long-temps pris soin, ne s’en séparèrent qu’avec une peine extrême ; ils affirmèrent que les gardiens de la ménagerie n’avaient pas assez de douceur pour gouverner les guépards, et qu’ils leur aigriraient bientôt le caractère.

Ce qu’ils avaient prévu arriva : les deux animaux, renfermés dans une loge, devinrent en peu de temps si farouches, qu’on ne pouvait plus en approcher. Un beau jour leur porte ayant été mal fermée, ils sortirent et firent une telle mine, quand on parut vouloir les reprendre, que personne n’osa s’y risquer. Le roi commanda qu’on les tuât à coups de fusil ; mais cet ordre ayant été par hasard connu des Indiens, qui étaient alors tout prêts à s’embarquer, ils montrèrent un tel désespoir, et supplièrent si instamment, qu’on leur permît d’essayer encore des moyens de douceur ; on suspendit l’arrêt fatal, et on leur permit de retourner pour un temps à Windsor.

La porte de la cour ayant été entr’ouverte, un Indien entra et appela par son nom le guépard qui se trouvait le plus près de lui. L’animal ne voulut pas le reconnaître et gronda d’un air courroucé.