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même de la liberté humaine, existe une inflexible nécessité dont l’homme n’a pas conscience. En dehors de cette hypothèse, je ne saurais concevoir comment mes actes sont liés, unis entre eux, et moins encore comment il se fait qu’ils soient dirigés vers un seul et même but. D’un autre côté, comme la nécessité ne saurait exister pour moi qu’au moyen de l’intuition, qu’au-dedans de l’intuition, il en résulte que la nécessité, dont nous nous occupons, ne sera possible qu’à la seule condition que tout acte libre, par cela même qu’il est libre, nous apparaisse objectivement, c’est-à-dire, revêtu de tous les caractères de l’intuition.

Tout cela ne doit d’ailleurs s’entendre que des seuls actes de l’espèce, non de ceux de tel ou tel individu ; car la sorte d’objectif dont nous avons parlé, demande, pour sa réalisation, le concours de l’humanité tout entière, pendant la durée de son développement historique. Or, l’histoire considérée objectivement n’est rien autre chose qu’une suite d’événemens, apparaissant comme autant d’actes libres au point de vue subjectif. L’objectif de l’histoire est donc une intuition ; intuition non de l’individu, mais de l’espèce entière. C’est même là-dessus que se trouve établie l’unité de l’objectif de l’intuition, ou de l’objectif de l’histoire pour l’espèce entière.

Bien que l’objectif se manifeste identiquement à toutes les intelligences, l’individu n’en agit pas moins librement, absolument. Les actes des êtres doués de raison ne seraient donc pas entre eux en harmonie nécessaire. Loin de là ! Plus il y aurait de liberté pour l’individu, plus il en résulterait de contradiction et de désaccord entre les individus, si cet objectif n’existait pas au fond de toutes les intelligences, comme une synthèse absolue, au moyen de laquelle toute contradiction se trouve conciliée, tout désaccord harmonisé.

Chaque être doué de raison pratique sa liberté, met en jeu son libre arbitre, comme s’il était seul au monde, comme s’il n’existait pas d’autres êtres semblables à lui, et il arrive néanmoins que tous ces efforts divergens, tous ces actes souvent opposés entre eux, concourent pourtant à un résultat commun. C’est un même but qui est atteint par tous. Sous les apparences les plus contradictoires se trouve par conséquent une secrète harmonie. C’est une hypothèse qu’il faut admettre, sous peine de nous trouver obligés de