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PHILOSOPHIE DE SCHELLING.

faire, afin que nos actions se trouvassent conformes au droit, à la justice. Nul n’aurait plus le courage d’exécuter ce qui lui est ordonné par la loi du devoir, sans s’inquiéter des suites qu’aura ce qu’il fait. Nul ne pourrait trouver en soi l’héroïsme du sacrifice, si nous ne pensions que notre dévoûment ne sera pas perdu pour nos semblables, qu’il profitera à l’humanité tout entière, dans sa marche progressive vers un but que nous ignorons. Or, cette conviction, qui se retrouve au fond de notre cœur, suppose que nous croyons à autre chose qu’à la liberté de l’homme : elle suppose que nous croyons aussi à une puissance d’ordre plus relevé que la liberté humaine, et qui sache mettre en œuvre tout ce qui est fait, tout ce qui est exécuté par l’homme au nom de cette liberté.

Sans cette croyance, une seule chose nous resterait à faire, ce serait de nous abstenir stoïquement de tout acte susceptible d’avoir les moindres résultats ; car ne sommes-nous pas exposés à mille erreurs dans l’appréciation anticipée des résultats que peut avoir cet acte ? Mille causes qui nous sont étrangères, sur lesquelles nous ne pouvons agir, la liberté d’autrui, par exemple, ne peuvent-elles pas faire que le résultat produit soit tout autre que ceux que nous pouvions attendre ? Enfin, puisque le devoir nous ordonne de demeurer indifférens aux résultats des actes qu’il nous prescrit, à quelle condition cela peut-il être ? N’est-ce pas seulement à la seule condition, que si nous admettons que l’acte que nous exécutons dépend de notre volonté, nous admettions, en même temps, que les suites de cet acte, c’est-à-dire les résultats qu’il pourra produire sur l’humanité, soient indépendans de notre volonté ? Ne sommes-nous pas, en un mot, forcés de croire que les résultats de nos actes tombent tous aux mains d’une puissance supérieure à notre liberté ?

Par rapport aux actes qu’il exécute, l’homme est donc libre ; mais, par rapport aux résultats des actes qu’il a exécutés, l’homme est soumis aux lois de la nécessité. Il ne suffit pas toutefois de poser cette hypothèse toute favorable à la liberté ; cherchons-en dès à présent l’explication transcendantale.

Nous ne saurions avoir recours dans cette explication à la providence ou bien à la fatalité. On n’éclaircirait rien par ces moyens ; car ce sont précisément la providence et la fatalité qu’il s’agit d’ex-