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Au premier abord, les deux choses ne semblent-elles pas contradictoires ?

Il existe toutefois un moyen, de les concilier, et ce moyen, c’est d’admettre qu’au sein même de la liberté se trouve la nécessité. Mais comment cette union est-elle possible ? Là est le problème le plus élevé de la philosophie transcendantale.

La liberté est nécessité, la nécessité est liberté. La nécessité, considérée comme l’opposé de la liberté, n’est rien autre chose que ce dont nous n’avons pas conscience. Ce qui se trouve en nous sans que nous en ayons conscience est involontaire. Ce dont nous avons conscience ne se trouve au contraire en nous que par notre volonté.

Quand je dis que la nécessité est identique à la liberté, c’est donc comme si je disais qu’en même temps que je crois agir librement, il résulte pourtant de l’acte exécuté une chose dont je n’ai pas eu conscience, qui a été produite sans ma participation. Cela équivaut encore à dire qu’une sorte de liberté, dont je n’ai pas la conscience, naît de l’activité déterminée dont j’ai conscience, et que cette liberté de nouvelle sorte est apte à produire une chose qui n’a pas été voulue, une chose qui se trouvera peut-être contradictoire avec la volonté de celui qui a agi, une chose enfin que celui-ci s’était peut-être même proposé de ne pas exécuter. Cette proposition, toute paradoxale qu’elle puisse paraître, n’est d’ailleurs que l’expression transcendantale d’un rapport existant entre la liberté apparente et cette nécessité cachée, appelée tour à tour providence ou fatalité. C’est en raison de ce rapport que nous voyons les hommes devenir causes, auteurs de résultats qu’ils n’ont pas voulus, bien qu’ils aient agi librement. C’est encore en raison de ce rapport que certaines choses qu’ils ont voulues, qu’ils ont le plus ardemment désirées, vers lesquelles ils ont dirigé tous leurs efforts, ne leur apportent néanmoins, une fois obtenues, que honte et dommage.

Notre foi en cette nécessité secrète, cachée sous les apparences de la liberté humaine, est le fondement de l’art tragique. Elle se retrouve en outre jusque dans nos moindres actions, jusque dans les plus habituelles manifestations de notre volonté. Si nous étions dépouillés de cette croyance, nous ne saurions jamais que vouloir