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PHILOSOPHIE DE SCHELLING.

science ; elle n’est pour chacun ni plus ni moins réelle que ne l’est sa propre individualité. Cette individualité ne saurait être ce qu’elle est, en effet, qu’à la condition que le siècle où elle se manifeste soit doué de tel et tel caractère, qu’il soit parvenu à tel ou tel degré de culture, ce qui n’est possible qu’à la condition que ce siècle ait été précédé de tout ce qui l’a précédé. Du présent on peut donc conclure le passé. Ce serait même une recherche intéressante à faire que de voir comment ce passé tout entier sort du présent, et comment l’histoire des temps où nous vivons contient nécessairement l’histoire des temps qui nous ont précédés.

À cela on peut objecter, il est vrai, que, si l’histoire du passé a de l’influence sur la conscience individuelle, il n’est pourtant pas vrai que ce soit le passé tout entier qui exerce cette influence, mais seulement les évènemens les plus importans de ce passé, puisque ces évènemens, les seuls connus, sont par cela même les seuls qui puissent agir sur le présent, par conséquent aussi les seuls qui puissent exercer quelque influence sur les individualités qui vivent dans le présent. Mais nous répondrons à cette objection que l’histoire n’existe que pour celui sur lequel le passé a eu de l’influence, et de plus, qu’elle n’existe pour lui qu’à la seule condition que le passé ait eu cette influence. Nous répondrons ensuite que les événemens de l’histoire n’existent pas immédiatement dans la conscience de chacun, mais n’y arrivent qu’au moyen d’une série infinie de termes intermédiaires ; qu’il a fallu le passé tout entier pour que cette série de termes intermédiaires ait pu exister, par conséquent pour que tel ou tel évènement soit venu produire telle ou telle modification de la conscience individuelle. Il n’en est pas moins certain qu’ainsi que le plus grand nombre des hommes d’une époque n’existent pas dans le monde de l’histoire, il en est de même du plus grand nombre des événemens de cette époque. Pour tenir une place dans la mémoire de la postérité, il ne suffit pas de s’être éternisé comme cause physique dans une série indéfinie d’effets physiques ; il ne suffit pas non plus, pour avoir une existence dans l’histoire, d’avoir été un simple moyen terme par lequel s’est propagée, pour aller au-delà, la culture des âges précédens ; il faut avoir été soi-même le commencement d’un nouvel avenir. C’est de cette façon que tout ce qui a produit dans le monde un effet quelconque