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REVUE DES DEUX MONDES.
GRÉMIO.

De la fenêtre de madame Lucrèce, de sa propre fenêtre, je l’ai vu descendre. Ah ! je suis blessé ! il m’a frappé au bras de son stylet.

DAMIEN.

Tu veux rire ! ton manteau est à peine déchiré. Quel conte viens-tu faire, Grémio ? Qui diable veux-tu avoir vu descendre de la fenêtre de Lucrèce, à cette heure-ci ? Sais-tu, sot que tu es, qu’il ne ferait pas bon l’aller redire à son mari ?

GRÉMIO.

Je l’ai vu, comme je vous vois.

DAMIEN.

Tu as bu, Grémio ; tu vois double.

GRÉMIO.

Double ! je n’en ai vu qu’un.

DAMIEN.

Pourquoi réveilles-tu une maison entière avant le lever du soleil ? et une maison comme celle-ci ! pleine de jeunes gens, de valets ! T’a-t-on payé pour imaginer ce mauvais roman sur le compte de la femme de mon meilleur ami ? Tu cries au voleur, et tu prétends qu’on a sauté par sa fenêtre ? Es-tu fou, ou es-tu payé ? dis, réponds ; que je t’entende.

GRÉMIO.

Mon Dieu ! mon Seigneur Jésus ! je l’ai vu ; en vérité de Dieu, je l’ai vu. Que vous ai-je fait ? je l’ai vu.

DAMIEN.

Écoute, Grémio. Prends cette bourse, elle peut être moins lourde que celle qu’on t’a donnée pour inventer cette histoire-là. Va-t’en la boire à ma santé. Tu sais que je suis l’ami de ton maître, n’est-ce pas ? Je ne suis pas un voleur, moi ; je ne suis pas de moitié dans le vol qu’on lui ferait ? Tu me connais depuis dix ans, comme je connais André. Eh bien ! Grémio, pas un mot là-dessus. Bois à ma santé ; pas un mot, entends-tu ? ou je te fais chasser de la maison. Va, Grémio ; rentre chez toi, mon vieux camarade. Que tout cela soit oublié.

GRÉMIO.

Je l’ai vu, mon Dieu ; sur ma tête, sur celle de mon père, je l’ai vu ; vu, bien vu.

(Il rentre.)
DAMIEN, seul, s’avance vers le jardin et appelle.

Cordiani ! Cordiani !

(Cordiani paraît.)