Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 2.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
REVUE DES DEUX MONDES.

la garde, qui, inquiets du brusque départ du roi, arrivaient au trot et en hâte. Voyant cette troupe de paysans armés réunis sur la place devant une maison, où le roi, causant au balcon avec Lopez Muñoz, leur semblait gardé à vue, ils allaient sabrer sans autre explication, quand l’aide-de-camp envoyé par Joseph arriva à temps, pour empêcher qu’une aventure, qui avait si bien commencé, n’eût un aussi triste dénoûment.

À Grenade, en visitant l’enceinte fortifiée du palais mauresque de l’Alhambra, le roi Joseph s’arrêta avec un douloureux intérêt dans la tour qui avait servi de prison au général Franceschi-Delonne, son aide-de-camp et son ami. Ainsi que l’inconnu prisonnier de Gisors, dont les sculptures originales et délicates, hiéroglyphes encore inexpliqués, font le désespoir des antiquaires et l’admiration des artistes, le malheureux général, habile dessinateur, avait esquissé, sur les murailles de son cachot, les événemens de sa vie et de sa captivité. Tantôt tracés au crayon, tantôt colorés avec le sang, qu’il avait tiré de ses veines, lorsque ses crayons lui avaient été enlevés, ses dessins reproduisaient les sentimens divers de son âme. C’était une suite de petits tableaux historiques, de portraits de famille, de mordantes caricatures, remarquables par l’ordonnance, par la verve et par l’expression. À côté d’un chiffre amoureux, auprès du portrait mélancolique de sa femme[1], ou de la tête gracieuse de son enfant, on voyait l’image burlesquement crayonnée du chef de partisans qui l’avait arrêté. C’était un guérillero, moine défroqué, surnommé el Capuchino. Le général avait aussi retracé, de mémoire et avec une étonnante vérité, les traits de ses deux compagnons d’infortune, le lieutenant Bernard, son aide-de-camp (aujourd’hui chef de bataillon d’état-major) et le capitaine Anthoine de Saint-Joseph (aujourd’hui maréchal-de-camp). Dans sa fantaisie, il s’était plu à peindre différentes circonstances, qui lui rappelaient son récent mariage. Il aimait passionnément sa femme : quelque part, dans un recoin discret du mur, il l’avait

  1. Mademoiselle Octavie Dumas, fille du lieutenant-général de ce nom, capitaine-général de la garde du roi Joseph ; M. Franceschi l’avait épousée peu de temps avant son départ pour la campagne de Portugal, à la suite de laquelle il avait été fait prisonnier.