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cette raison impassible qui explore sans émotion les systèmes philosophiques, au lieu de convaincre son adversaire, il aurait persuadé la chambre. Il semble ignorer que la tribune n’est pas un enseignement, mais une lutte ; que la vérité, pour triompher dans les débats parlementaires, ne doit pas s’en tenir à la rigueur dialectique, mais parler aux passions en même temps qu’à l’esprit.

Toutefois il faut remercier M. Jouffroy d’avoir, selon sa nature et ses habitudes, porté secours à son ami M. Dubois ; de s’être interposé entre le ministre et le député, et d’avoir hautement revendiqué l’indépendance législative.

Le plus intrépide versificateur de tragédies et d’épîtres, le correspondant des chiffonniers et des mules de don Miguel, le rival heureux et couronné de celui qui débuta par le beau roman d’Adolphe, et qui termina dignement sa carrière par l’histoire élégante et ingénieuse des religions, le publiciste à qui le Constitutionnel a dû plus d’une fois ses satires mordantes et fines, M. Viennet, enfin, est monté à la tribune, lui, pour proclamer militairement que la légalité nous tue. À cette parole inconsidérée, les clameurs se sont élevées de toutes parts. Vainement l’orateur se vante-t-il dans les journaux d’avoir communiqué son discours à M. Dupin, comme autrefois Volney à Mirabeau ; personne ne veut le croire, les démentis pleuvent de tous côtés. Alors M. Viennet prend exemple sur M. Guizot, il commente ses paroles. Mais moins prudent que l’historien des Stuarts, il ne retire pas une syllabe échappée de ses lèvres ; il complète sa première folie par une folie plus grande encore. — « Je n’ai pas dit que la légalité nous tue, j’ai voulu et dû dire que la légalité actuelle nous tue. » Est-il possible de ne pas se rendre à cette explication lumineuse ? Ne faut-il pas plier le genou devant cette savante scholie ?

De grâce, messieurs, accordez-vous. Si les lois vous gênent, dites-le une bonne foi ; sachons au moins à quoi nous en tenir. Si la constitution vous embarrasse, avouez-le ; si vous voulez gouverner par la force, ne le cachez pas. Écrivez sur le Palais-Bourbon, parmi les figures grotesques, signées du nom de Fragonard : Maison à louer ; fermez la chambre, ou faites-en une caserne ; donnez à M. Viennet un régiment ; vous devez être bien las de toutes les parleries de la session, bien dégoutés des chicanes du budget.

La souscription Lafitte se couvre de signatures. Les offrandes se multiplient, et d’ici à quelques mois, nous devons l’espérer, le berceau de la révolution sera racheté et rendu au grand citoyen que la France honore,